Revoici Lambert Wilson, metteur en scène d’une pièce dont on ne se lasse pas tant y flamboie la langue, ciselée comme une dague. Autant le savoir tout de suite : avec ce Marivaux-là, on ne nage pas en pleine bluette au lait de coco. Ce qui fournit la trame de cette oeuvre féroce ? L’argent, le fric, l’oseille, l’artiche ! La toute-puissance de l’argent sur les émois du coeur y est finement flétrie, mais ce n’est pas tout : dans les eaux troubles de l’affect, au creux des rivalités amoureuses, l’oeuvre pointe également la bisexualité des êtres et les premières revendications de valets roués à travers la figure frondeuse de Trivelin (Francis Leplay), entouré de ses collègues Arlequin et Frontin (Eric Guérin, Pierre Laplace). Or donc, une jeune fille richement dotée (Anne Brochet, rusée et ambiguë) se travestit en garçon – chez Marivaux comme chez Shakespeare, chacun découvre sa propre vérité dans le travestissement– pour aller voir de plus près Lélio (Fabrice Michel), le prétendant choisi d’autorité par son beaufrère. Les masques tombent vite : son promis n’est pas un amoureux mais un petit gestionnaire prudent. Pire : un fieffé goujat prêt à la planter pour une accorte comtesse plus argentée (Christine Brücher, délicate et douloureuse). La suite ? Ben, on ne peut pas vous dire, sinon vous nous en voudriez terriblement de gâcher un suspense qui prend le temps de faire exister les personnages. Soin visible apporté à la lumière et aux décors (de longs pans de dentelle nervurés de feuilles), rythme enlevé et dialogues décalés déployant mille chaussetrapes et trompe-l’oeil : Lambert Wilson adapte l’oeuvre avec une belle élégance mâtinée de dérision. Alors, c’est vrai, on peut trouver à redire aux divertissements (hommage évident aux musicals hollywoodiens) chantés et dansés et aux chorégraphies qui vous ont ici un petit air foutraque digne d’un club de vacances discount, mais cela n’entame pas le charme acidulé de cette succulente dragée au poivre. Marivaux est plus que jamais en activité invisible dans le tourbillon de l’époque.