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Tag - théatre

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samedi, mai 15 2010

La Fausse suivante de Marivaux

Revoici Lambert Wilson, metteur en scène d’une pièce dont on ne se lasse pas tant y flamboie la langue, ciselée comme une dague. Autant le savoir tout de suite : avec ce Marivaux-là, on ne nage pas en pleine bluette au lait de coco. Ce qui fournit la trame de cette oeuvre féroce ? L’argent, le fric, l’oseille, l’artiche ! La toute-puissance de l’argent sur les émois du coeur y est finement flétrie, mais ce n’est pas tout : dans les eaux troubles de l’affect, au creux des rivalités amoureuses, l’oeuvre pointe également la bisexualité des êtres et les premières revendications de valets roués à travers la figure frondeuse de Trivelin (Francis Leplay), entouré de ses collègues Arlequin et Frontin (Eric Guérin, Pierre Laplace). Or donc, une jeune fille richement dotée (Anne Brochet, rusée et ambiguë) se travestit en garçon – chez Marivaux comme chez Shakespeare, chacun découvre sa propre vérité dans le travestissement– pour aller voir de plus près Lélio (Fabrice Michel), le prétendant choisi d’autorité par son beaufrère. Les masques tombent vite : son promis n’est pas un amoureux mais un petit gestionnaire prudent. Pire : un fieffé goujat prêt à la planter pour une accorte comtesse plus argentée (Christine Brücher, délicate et douloureuse). La suite ? Ben, on ne peut pas vous dire, sinon vous nous en voudriez terriblement de gâcher un suspense qui prend le temps de faire exister les personnages. Soin visible apporté à la lumière et aux décors (de longs pans de dentelle nervurés de feuilles), rythme enlevé et dialogues décalés déployant mille chaussetrapes et trompe-l’oeil : Lambert Wilson adapte l’oeuvre avec une belle élégance mâtinée de dérision. Alors, c’est vrai, on peut trouver à redire aux divertissements (hommage évident aux musicals hollywoodiens) chantés et dansés et aux chorégraphies qui vous ont ici un petit air foutraque digne d’un club de vacances discount, mais cela n’entame pas le charme acidulé de cette succulente dragée au poivre. Marivaux est plus que jamais en activité invisible dans le tourbillon de l’époque.

mercredi, avril 14 2010

Sam Mendes

Cinéaste à succès, le réalisateur d’“American Beauty” fut un metteur en scène de théâtre acclamé. Ses adaptations de deux pièces de Shakespeare sont enfin visibles en France.

Derrière la porte, on surprend Kate Winslet, pleurant son mariage en déroute sur l’affiche des “Noces rebelles”. En face, le soldat de “Jarhead” ignore le nombril envoûtant de la lolita d’“American Beauty”, son premier film, auréolé de cinq oscars, en 2000. Dans cette salle des trophées, à l’étage d’un immeuble discret et défraîchi de West Village, à New York, les succès à 350 millions de dollars de recettes du réalisateur britannique Sam Mendes côtoient les hommages à sa première passion : les annonces illustrées des spectacles du Donmar Warehouse, théâtre du West End sauvé de la ruine par ce prodige de la scène londonienne. Son “Oncle Vania” (Tchekhov) de légende, l’“Oliver !” (Dickens), monté en 1994, à l’âge de 29 ans, sont l’oeuvre d’un théâtreux forcené, convoité par Hollywood, mais amarré à New York. Voilà dix ans que le Britannique le plus demandé d’Amérique croque la Grosse Pomme. A Brooklyn, sa “Tempête” et son “Comme il vous plaira”, de Shakespeare, font salle comble, et la troupe prépare une tournée mondiale qui la conduira à Hongkong, Amsterdam et Paris, au théâtre Marigny. Mais Mendes, resté longtemps le meilleur parti de Londres, a toujours vu en New York le creuset d’une nouvelle famille, avec Kate Winslet, sa femme depuis 2003. Ici, la star de “Titanic” peut se rendre à pied à l’école avec Joe, leur fils de 6 ans, sans provoquer une émeute sur la 7e Avenue. Sam, lui, fils d’un prof de lettres issu d’une lignée protestante portugaise de l’île de la Barbade et d’une mère juive anglaise écrivaine pour enfants, divorcés quand il avait 5 ans, reste à température égale dans ce tourbillon urbain et cosmopolite : un Anglais érudit et iconoclaste ciselé par Oxford, Cambridge et la Royal Shakespeare Company, qui boude les tapis rouges pour regarder, à la télévision, le cricket et les matchs de foot d’Arsenal. Lorsqu’il nous reçoit, les limiers de la presse people anglaise rôdent autour de son immense loft en quête de tuyaux sur son imminent divorce, confirmé depuis le 15 mars. Sam Mendes, enfoncé dans un fauteuil entre une imposante bibliothèque et une gigantesque télé, incrimine dans un nuage de cigare le démon qui le taraude toujours à 44 ans : le boulot. Obsessionnel. Dévorant. Le problème de ce perfectionniste maladif n’est pas le prochain James Bond en 3 D, qu’il prépare pour 2011, mais Shakespeare. Tasse de thé de tout Anglais qui se respecte.

Un vrai chaman aux répétitions de Brooklyn Mendes a pourtant attendu d’étudier l’auteur de Hamlet en classe, à l’adolescence, pour mettre la première fois les pieds dans un théâtre. Sa “Tempête”, visuelle, intimiste, mélodieuse même, grâce aux deux musiciens sur scène, s’affranchit des conventions classiques. Prospero, le duc exilé de la pièce qui convoque les esprits pour vaincre ses usurpateurs, pontifie moins qu’il ne laisse percevoir ses doutes sur son pouvoir. « Pour moi, c’est une pièce qui, franchissant les frontières des cultures, dépeint un artiste sans contrôle sur sa création, comme un roi sans pouvoir sur ses sujets », confie Mendes, qui, pour mieux interroger l’occulte, a invité un vrai chaman à assister aux répétitions de Brooklyn. « J’ai toujours pensé qu’il ne suffisait pas d’aimer une pièce ; qu’il fallait en découvrir le plus profond secret », plaisante le metteur en scène. « Cela paraît prétentieux, mais je serais déjà content si, grâce à moi, deux ou trois gamins assis au fond de la salle s’ouvrent à Shakespeare et au théâtre. » Ce qui devrait leur plaire.