Si al’effet “Mad Men” a déjà touché la mode et la déco, un vent rétro souffle aujourd’hui sur les nuits parisiennes. Les soirées swing réunissent ainsi danseurs de “lindy hop” et fans de vintage, dans une ambiance d’un autre temps. Allez, tous en piste !

A l’extérieur, une horde de touristes endimanchés fait la queue sur le trottoir pour entrer au Moulin Rouge. Il faut se frayer un chemin parmi eux pour accéder à la porte de la Machine du Moulin Rouge, anciennement la Loco, qui jouxte le fameux cabaret. En haut de l’escalier, au premier étage, on entend une musique rétro. Et quand on arrive dans la salle, on a l’impression d’avoir fait brusquement un saut dans le passé : les garçons ont les cheveux gominés et la moustache fine, les filles sont en robe, la taille haute et les lèvres rouges. Surtout, les couples dansent le “lindy hop”, une danse de rue qui s’est développée dans la communauté noire de Harlem à la fin des années 1920. Ici, on est plus proche de l’esprit du Cotton Club que d’une boîte de nuit parisienne des années 2010. Comme chaque second samedi du mois, c’est l’Apéro Swing, un rendez- vous qui accueille des soirées swing, crooner, néo-burlesque. Mais attention, si la danse, la musique et les looks sont d’époque, le public lui, a une moyenne d’âge de trente ans. Le terme “swing”, dont l’âge d’or se situe dans les années 30 et 40, désigne une forme de jazz et les danses qui vont avec (Charleston, lindy hop, jazz roots). Depuis 2005, il refait surface en attirant un nouveau public, comme de nombreux autres courants rétro (le néoburlesque et le look pin-up, le rock’n’roll et le son des fif ties). Mais ces trois dernières années, tout s’est accéléré : c’est l’effet Mad Men. Cette série américaine qui se déroule dans les années 60 à New York a remis au goût du jour l’esthétique, les costumes et la déco de l’époque. Les créateurs de mode s’en sont inspirés et on a vu réapparaître la silhouette rétro lors des défilés, alors que les magazines de déco mettent en scène des intérieurs typiques des années 50 et 60.

« On n’est pas passéiste, on s’inspire du rétro dans l’image et l’état d’esprit, mais on vit dans notre époque. On est jeune, on aime aussi plein de choses de la culture contemporaine, prévient Florence Agrati dite Lady Flo, fondatrice de l’association qui organise des soirées visant à promouvoir la culture rétro version 2011. Quand on sort aujourd’hui, tout le monde est habillé comme son voisin et les garçons ressemblent aux filles. On ne s’entend pas parler, on ne se touche pas, il y a une phobie du corps, ajoute-t-elle. Alors oui, il y a une certaine nostalgie d’une époque révolue, où les gens avaient l’air heureux d’aller danser, se faisaient beaux pour sortir, dansaient à deux, tout cela dans les règles de la galanterie. » Pour beaucoup, l’état d’esprit rétro, c’est aussi une recherche du “qualitatif” dans une société où ce qui est consommé est aussi vite oublié. Il correspond à l’envie du moment de se nourrir de bons produits, de porter des vêtements bien coupés dans des tissus qui durent, loin de la junk food et de la mode jetable. La vague vintage semble d’ailleurs frapper plus intensément les femmes, qui se retrouvent dans cette époque des Trente Glorieuses, où leur corps et leur féminité étaient mieux mis en valeur. Et puis les rôles de chacun étaient bien définis, la séduction était aussi plus ludique. Des “valeurs” que revendiquent les filles du néo-burlesque, qui pratiquent l’effeuillage glamour. C’est un peu tous ces éléments qui forment ce que l’on appelle l’esprit néo-rétro. Aujourd’hui ces envies se propagent naturellement à la danse. Pour preuve, l’association Brotherswing qui donne des cours de lindy hop, de jazz roots et de Charleston à Paris, a vu le nombre de ses élèves plus que doubler en un an. Pour Paulo, 32 ans, et Mélanie, 25 ans, les deux professeurs de l’association, une seule condition pour réussir à danser le lindy hop : «avoir envie et être motivé ». En mettant en place des cours d’initiation gratuits au début de chaque soirée swing qu’ils co-organisent, ils ont permis aux curieux et aux timides de se lancer.

« Ce qui est bien, c’est que les gens se rendent compte qu’ils peuvent faire rapidement quelques pas et la sensation est assez instantanée, précise Mélanie. Si tu es motivé, tu peux progresser très vite et avoir un bon niveau en quatre mois. » Ancêtre du rock’n’roll qui s’en inspire par le style musical et le pas de base, le lindy hop se rapproche du boogie-woogie avec un côté “swingué”, arrondi, là où le rythme du rock est plus carré. Il se danse aussi bien sur des rythmes lents que sur des rythmes très rapides. Et pour cette nouvelle génération, il peut même se danser sur de l’électroswing, un mélange de morceaux des années folles et de rythmique électro, comme celui des DJ’s Bart&Baker, spécialistes du genre (albums Swing Party et, à sortir en juin, Swing Burlesque, chez Wagram). « Les gens ont besoin de se défouler dans un contexte social difficile, explique Paulo. Il y a un effet “bonne humeur” du swing. La musique est très joyeuse, et la danse est super dynamique, faîte pour se lâcher. Dans les soirées, tout le monde sourit. C’est impossible de faire la tête dans une ambiance pareille. » Et à voir les visages des personnes dans la salle, danseurs ou pas, on se dit que l’“effet swing” devrait être remboursé par la sécurité sociale. Mais attention, lors de ces soirées à la Machine du Moulin Rouge, pas de prises de tête ou de postures. Chacun vient comme il est. Et les participants très “lookés” se mélangent à des danseurs plus attentifs à leurs pas qu’à leur tenue Les soirées swing sont à géométrie variable, parfois plus teintées de danse, de burlesque ou de rock, mais avec à chaque fois un dénominateur commun : la décontraction, le plaisir. Il était temps que les soirées parisiennes se mettent à swinguer.