Pour reverdir Brassens, on nous dit qu’il vivait comme un punk ou que le leader de Franz Ferdinand le considère comme le meilleur chanteur français de tous les temps. Quoi qu’il en soit, la superbe rétrospective “Brassens ou la liberté” de la Cité de la musique offre une immersion très documentée et ludique dans sa vie et son oeuvre, à travers des objets, des documents et les dessins de Joann Sfar. A voir pendant cinq mois.

Pour les amateurs de Brassens, c’est une mine. Les autres pourront apprécier la mise en espace inventive et parfois spectaculaire, les photos de Doisneau, de Leloir et les objets d’une autre époque, les dessins de l’auteur de BD et réalisateur Joann Sfar et ses astuces « à hauteur d’enfant », de la musique, des images, beaucoup de documents audiovisuels. La scénographie de l’exposition a été réalisée par des décorateurs de cinéma maîtres dans l’art de créer des atmosphères, tant et si bien qu’on s’y croirait. Bref, les raisons de visiter “Brassens ou la liberté” à la Cité de la musique sont nombreuses ; à l’issue de cette première rétrospective consacrée à l’auteur des “Copains d’abord” (1921-1981), le visiteur pourrait même découvrir un chanteur. « Joann Sfar et moi avons voulu que l’expo soit très accessible, gaie et gentille, comme Brassens lui-même », résume Clémentine Deroudille, commissaire de l’exposition, lors d’une visite commentée. Gentil, mais aussi libertaire. C’est-à-dire une personne qui, dans son existence, va très loin dans le sens de la liberté individuelle absolue. Voilà un programme de vie tout sauf peinard. Et à l’image de l’idéal de Brassens, l’expo qui explore les versants intime et public du chanteur est elle aussi bouillonnante.

Mais avant de monter cette première présentation d’envergure consacrée à un chanteur qui a vendu plus de trente-trois millions d’albums, les commissaires ont dû convaincre. Oui, il a fallu démontrer que derrière la guitare clas sique qui fait gling-gling sur le tempo du fox-trot, et au-delà d’une manière de chanter surannée, il y avait un musicien exigeant et un auteur dont la portée des textes atteignait allègrement notre XXIe siècle. Avec des chansons dont deux des thèmes récurrents sont la mort et l’amour, reconnaissons que le Sétois d’origine visait davantage l’intemporel que l’anecdote. Ceci étant dit, le Brassens tout à la fois engagé contre l’armée, la peine de mort, les curés, le mariage, la vie à deux (liste non exhaustive) faisait dans la nuance et le subtil : « Je préfère suggérer les choses que les dire », expliquait- il dans un entretien avec Philippe Némo, sur France Culture en 1979. Et c’est sans doute cette finesse d’esprit qui fait que des textes comme “La Mauvaise Réputation”, “La Non-demande en mariage” ou “Le Gorille” non seulement passent les années, mais conservent une pertinence intacte. Brassens était fin, Brassens était délicat, Brassens était plein d’élégance et dans le même mouvement diffusait des grossièretés qui ont beaucoup choqué. En somme, le poète manqué reconverti en chanteur à textes était rempli de paradoxes. C’est ce qui fait l’épaisseur du bonhomme, et c’est ce qui a plu – aussi – à Clémentine Deroudille qui, en prime, a été séduite par la dualité sensible/virile d’un artiste dont l’un des passe-temps était, au propre, de soulever de la fonte. Au moins avait-elle toute l’estime et la caution des ayants droit : « Chouette, vous allez sortir tonton du purgatoire ! » se seraient-ils réjouis à l’idée de cette rétrospective.

Le rez-de-chaussée de l’exposition est un passionnant et sinueux parcours. Dans la galerie obscure que l’on a voulu semblable à une forêt, on suit les grandes étapes de la vie de Brassens depuis “L’apprentissage de la liberté” jusqu’à “Brassens consacré” en passant par la période (très) bohème du chanteur, des années durant lesquelles, impasse Florimont à Paris, le rebelle vivait avec Jeanne sans eau courante, sans gaz, sans électricité et sans reconnaissance aucune. C’est dans ce dénuement que l’artiste a écrit la plupart de ses chansons. Cette partie de l’exposition intitulée “Auprès de mon arbre” en est à la fois le coeur et la séquence la plus captivante. Outre les photos et les films noir et blanc qui montrent bien la dèche et/ou le goût de Brassens pour l’absence de confort, le visiteur pénètre dans l’arrière-cour de la création. Sont dévoilées les racines littéraires du chanteur et les secrets de fabrication d’un autodidacte : « Il fréquente assidûment la bibliothèque du quartier où il passe des journées entières à lire, étudier la versification et se forger une culture littéraire qui le hisserait à la hauteur des auteurs qu’il admire : Villon, Hugo, Baudelaire, Gide… (…) Son érudition et son éclectisme nourrissent ses textes futurs, un imaginaire hors du temps, drôle ou mélancolique, parfois irrévérencieux ou même grivois, qui constitue un paysage familier », résume très bien la présentation de l’expo. Autre bonne idée, des téléphones fixes permettent d’entendre Brassens au bout du fil : d’une voix douce, le chanteur dit sa préférence pour « la musique de jazz » ou affirme qu’il a « presque lu tout le monde », et encore : « Je fais de la propagande de contrebande. » Plus on s’approche de la fin du parcours, plus on côtoie le Brassens que l’on connaît, celui des succès et de la consécration. Mais quel chemin pour en arriver là !

“Brassens ou la liberté”, jusqu’au 21 août au Musée de la musique, Cité de la musique, 221, avenue Jean Jaurès, 19e. M° Porte de Pantin. Du mar. au sam. de 12 h à 18 h ; nocturne le ven. jusqu’à 22 h ; dim. de 10 h à 18 h. Entrée : 8 € (- 26 ans : 5 €). www.citedelamusique.fr/brassensoulaliberte.