Faubourg-Montmartre, la nuit fait son spectacle. C’est ici que l’on déambule entre théâtres et passages Belle Epoque. Mais c’est Faubourg-Poissonnière, dans des ateliers sur cour et des hôtels particuliers, que l’on imagine l’architecture, les objets et les images de demain. Un rythme à deux temps, côté rues et coulisses, à vivre de jour comme de nuit.

La rue du Faubourg-Poissonnière, c’est l’histoire d’un privilège accordé par Saint Louis à la corporation des chasse-marée pour approvisionner Paris en poissons de mer, un chemin qui donna son nom au Faubourg. C’est également l’arrivée de l’aristocratie à la fin du XVIIIe siècle qui édifie des hôtels particuliers et l’installation rue Richer de l’hôtel des Menus-Plaisirs, l’administration royale de l’organisation des fêtes ! C’est enfin un quartier juif, populaire, avec ses peausseries, les cafés-concerts, les magasins de nouveautés non loin de là, pendant longtemps le siège de L’Huma... En fait l’incarnation de l’histoire de la capitale en son entier ! », explique François Besse, le directeur de Parigramme qui n’édite que des livres sur Paris ! Daniel Mesguich, le flamboyant directeur du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, vous parle de sa joie d’étudiant, lui le natif d’Alger, « d’arpenter et de connaître ainsi le vrai Paris ». Rien de très nouveau puisque Balzac écrit en 1843 : « Le coeur de Paris palpite entre la rue de la Chaussée-d’Antin et la rue du Faubourg- Montmartre. Une fois que vous avez mis le pied là, votre journée est perdue si vous êtes un homme de pensée. C’est un rêve d’or et d’une distraction invincible. » Dans les années 1930 déambulent sur cet héritage du baron Haussmann hommes-orchestres, montreurs d’ours, avaleurs de sabre et marchands de cravates ! Pour mémoire, les paroles des Grands Boulevards d’Yves Montand « J’aime flâner sur les grands boulevards, y a tant de choses, (...) à voir, on y voit des grands jours d’espoir, des jours de colère, qui font sortir le populaire. Là vibre le coeur de Paris, toujours ardent, parfois frondeur, avec ses chants, ses cris. » Si les avaleurs de sabres ont laissé place aux boutiques de portables, à la tombée de la nuit, s’illumine toujours une inégalable concentration de théâtres, des Variétés au Palace, des Nouveautés aux Folies Bergère qui font flotter entre les rues du Faubourg-Poissonnière et Faubourg- Montmartre leurs souvenirs-fantômes aux allures d’icônes. La Belle Hélène d’Offenbach monté par le maître lui-même aux Variétés, qui a vu défiler devant ses dorures et fauteuils de velours cramoisi Arletty, Raimu ou Fernandel dans le meilleur du théâtre de boulevard. La Belle Otero, Mistinguett et Joséphine Baker hantent encore les boudoirs des Folies Bergère, petit temple Art déco, décor des romans Bel Ami et Nana, autrefois réputé pour ses spectacles osés pour l’époque... Aujourd’hui, Zorro !

Le temple du théâtre de boulevard

« Les habitants se sentent parfois spectateurs de leur propre quartier », nous confie le rabbin Jonas. Il prend, en soirée, le visage du touriste bon enfant, qui visite le musée Grévin, commande un boeuf bourguignon chez Chartier et va ensuite voir un spectacle ! Chartier, l’institution populaire, autrefois repaire des ouvriers, puis des journalistes au temps où Figaro, Equipe et France-Soir logeaient à quelques pas. Seul le Rex semble, avec sa voûte étoilée, ses décors de carton-pâte et sa façade Art déco, avoir gardé sa place de cinéma fétiche dans le coeur des indigènes. Comme le rappelle Caroline Flé, l’architecte de la pâtisserie enfantine Bogato, c’est au Limonaire, le bistrot à vins et à chansons de la rue Bergère, qu’ils aiment découvrir de nouveaux artistes. Et si les créatifs d’H5, le studio de graphisme de la French Touch, privilégient un dîner au restaurant à vins Racines, passage des Panoramas, ils font aussi quelques infidélités en fréquentant Le Martel ou Chez Jeannette de l’autre côté du Faubourg Poissonnière. « Pas tout à fait une infidélité, son trottoir de droite appartient déjà au Xe arrondissement », s’amuse la consultante en design Colette Bel, qui n’imagine pas habiter ailleurs que dans ce « quartier central, où se mixent toutes les populations, ni précieux, ni apprêté, où l’on peut être simplement soi ». Pour la cinéaste Lou Genet, ce sont les passages couverts qui excitent le plus son imagination, avec leurs entresols, trompe-l’oeil et commerces désuets, d’où émane un sentiment mystérieux, très Palais-Royal. Comme la terre tourne autour du soleil, l’activité se déplace au fil de la lumière entre les Faubourgs Poissonnière et Montmartre. Très animé la journée, le premier s’éteint à la tombée de la nuit lorsque s’allume le second. La pratique du shabbat n’y est pas étrangère. Originellement terre des juifs alsaciens, le quartier concentre synagogues et commerces casher.

Faubourg-Poissonnière, ruche créative

Les anciens ateliers de peau, de fourrure, de bijoux ont laissé place à des regroupements de créatifs en tout genre, de la production télé et cinéma (côté Hauteville) aux architectes, designers et graphistes (Faubourg- Poissonnière). Dominique Jakob du cabinet Jakob+MacFarlane qui réalise les Docks de Paris explique cette migration progressive par la taille des espaces des anciens ateliers et les prix accessibles. « Le patrimoine est peu restauré, pas transformé non plus, ce qui vous permet, lorsque vous cherchez des locaux, de tomber sur des hôtels particuliers avec dix mètres sous plafond qui ont conservé leurs fresques, une splendeur ! » Une “boboïsation” du quartier qui a entraîné le développement des offres “vertes”, de 5 Fruits et Légumes, petite cantine bio, à l’atelier culinaire Fraîch’attitude, qui propose des ateliers chromatiques à la Sophie Calle. Mais les drogueries et les épiceries arméniennes ont subsisté ! Les créatrices de la jeune et dynamique galerie Sycomore qui représente des artistes brésiliens expliquent que ce vivier de créatifs a stimulé leur arrivée dans ce quartier plutôt désert le soir et qu’elles espèrent bien les avoir comme clients un jour ! On peut aussi passer de la production à... la cuisine comme ces quatre copains oeuvrant dans les médias, qui ont fondé Les Fils à Maman, un restaurant familial dans une petite impasse! Anne-Claude Dessart, bras droit de Jean-Michel Wilmotte, souligne l’effet “îlot” du quartier : les grands boulevards embouteillés jusqu’à quatre heures du mat’ le samedi, la culture juive de la rue Richer, la charmante Cité Trévise, très anglaise autour de sa fontaine des Grâces, le Faubourg- Poissonnière qui louche déjà beaucoup vers le Xe... « Dans ce quartier, on change totalement d’univers en une rue ! », précise-t-elle.

A chaque rue son univers

Et le dépaysement est au coin de la rue : l’incroyable décor du showroom de la créatrice Anne Valérie Hash, boulevard Poissonnière, qui a abrité synagogue et maison close, le siège de BNP Paribas Immobilier et Cetelem installé dans les fresques en mosaïque de l’ancien Comptoir national d’escompte, réhabilité par le cabinet d’architecture Anthony Béchu, l’hôtel Bony, sorte de délire palladien façon Empire qui abrite une société de communication. On comprend que ce quartier inspire les cinéastes. « C’est un personnage de mon film à part entière », raconte Steve Suissa, réalisateur du polar Mensch sorti en décembre, qui a souhaité que ses acteurs y séjournent auparavant ! Rumeur du Daily Neuvième, le petit journal web du IXe, serait prévu l’an prochain le tournage d’un Bel Ami avec Uma Thurman. L’atelier de costumes Caraco Canezou, installé rue Saulnier, y est donc parfaitement à sa place. S’en sont échappés les costumes futuristes de l’opéra Perelà, les habits d’Emma de Caunes dans le film Le Scaphandre et le Papillon ou d’Anna Mouglalis dans Coco et Igor, de la pure haute couture comme cette merveilleuse jupe froufroutante comme une traîne... Dans les étages, des doigts agiles cousent sans relâche pour le spectacle, en bas, une petite cantine très guinguette bobo pour les employées de la maison, un modeste et précieux symbole à la fois, des deux visages de ce IXe arrondissement.