Les Black Eyed Peas viennent de remplir trois Stade de France avant Prince au stade de France. Pour chaque date, les places sont parties en 40 minutes environ. Pas mal... De quoi s’interroger sur les raisons d’un tel succès. Du coup, nous nous sommes enfermés dans un infernal (mais si joyeux) bus-club avec 50 fans, le temps d’un trajet musical déchaîné entre le centre de Paris et le fameux stade de Saint-Denis. Du sport.

16 h : Les ravissants hôtes et hôtesses, 20 ans maxi, se postent en rang d’oignon devant le bus affrété par Virgin Radio, en arborant fièrement un T-shirt au message enthousiaste : « Tu viens avec moi au Stade de France ? » Ce sont eux qui ont parcouru Paris, distribuant les bulletins de jeu pour faire gagner les trente dernières places du concert des Black Eyed Peas aux auditeurs de la station ; ce sont eux aussi qui vont accueillir les lauréats. Le tirage au sort est en cours, on appelle les gagnants, le suspense est à son comble. 16 h 37 : Arrivée des premiers gagnants. Hurlements de joie (programmée, mais non feinte) des jeunes hôtes(ses). Non moins jeunes, deux garçons s’avancent timidement. Dans l’heure qui suit, 28 autres heureux candidats ayant rarement dépassé la trentaine, mais d’extractions sociales et de provenances géographiques variées, suivront. On croyait qu’il s’agirait d’individus isolés, mais ce sont en fait des groupes de deux ou trois qui ont été appelés. Sans doute une meilleure idée pour mettre de l’ambiance. 17 h : Les gagnants, acclamés par une haie d’honneur, grimpent dans le bus, suivis des 20 hôtes(ses), qui shakent déjà bien leur booty. Un bus qui a donc tout de la boîte de nuit : DJ et sa cabinette, dancefloor, petites banquettes, éclairages festifs, écrans à clips, son de folie. Comme le DJ a déjà envoyé le premier tube du groupe star (I Gotta Feeling, sans surprise) , tous les bras sont en l’air, les plus fofolles des filles chantent les paroles par coeur. Pardon : tout le monde chante par coeur. Dans des bacs, des boissons non alcoolisées. La joie est générale, et donc bien sincère. 17 h 15 : Le bus est parti. Il va lentement traverser les bouchons parisiens pour arriver au Stade de France, où les jeunes fous se déverseront vite vers leur “carré or pelouse”, des places vraiment cool pas trop loin de la scène. Ça s’excite sévère. Sur les Champs-Elysées, les passants rigolent en voyant passer ce bus bruyant, et qui saute presque sur place tellement ça danse dedans. Certains, solidaires, esquissent un pas de danse sur le trottoir. 17 h 23 : Au coeur de la tornade musicale, séduits par l’avalanche de bonne humeur qu’elle provoque, alors que nous ne sommes pas spécialement fans, nous interrogeons le fan. Alors, jeune personne, à ton avis, les Black Eyed Peas, pourquoi ça cartonne autant ? Les réponses pleuvent, organisées, et toutes assez similaires. 17 h 28 : Audrey, douce amatrice, coincée près d’une fenêtre, mais tout sourire, se déclare ainsi à nous « fan de Will.I.Am, que ce soit de ses projets persos ou du groupe. Et pareil pour Fergie. » On apprécie la justesse de son commentaire sur l’opportunité, pour la formation, d’être « passée du hip hop à l’électro : tout le monde aime ça ! » Les BEP (par esprit pratique, nous emploierons désormais cet acronyme pertinent pour désigner le groupe) sont donc mainstream. Bon, ça, ok. 17 h 40 : Ophélie et Jonas kiffent grave : tirés au sort en couple, c’est pas beau la vie ? En plus, ils sont venus spécialement de Marseille pour le concert. « On avait acheté des places, mais on a gagné, et les nouvelles places sont bien meilleures, donc on a donné les nôtres. » Ça se voyait tout de suite qu’ils étaient sympas, ces deux-là. Grosse fan de dancefloor, les bras en l’air en train de chanter, Ophélie s’interrompt pour estimer que « les BEP, ils anticipent toujours ce qui va marcher. » Tu m’étonnes, John. Et ils savent embaucher, par exemple, David Guetta, ce qui leur a réussi. « On l’adore aussi ! » Eh oui, ça va ensemble. 17 h 52 : Charles, étudiant en prépa HEC, et Jonathan, étudiant en pharmacie, respectivement 19 et 20 ans, visages d’anges, sont en train de devenir copains. Ils sont moins expansifs que les poulettes déchaînées au fond du bus, mais trop contents d’être là. Ils ont du Black Eyed Peas plein leurs MP3, et ils trouvent que c’est super à écouter « aussi bien dans les transports qu’en soirée. C’est commercial, mais avec un fond artistique. » Enfin bon, ils n’auraient quand même pas payé leur place : « Pour le même prix, tu as trois jours complets à Solidays ! » Car ils aiment des trucs plus rock et “indie” aussi : Arctic Monkeys, MGMT, les Housse de Racket, et même Cassius ou Memphis Bleek, « du hip hop pas commercial ». Bilan d’étape : le fan BEP est peut-être mainstream, mais pas que. 18 h 12 : On n’a presque pas le coeur à interrompre les “chorés” endiablées d’Elsa, Bérangère et Anne-Sophie, toutes trois étudiantes à l’école du barreau. « J’ai toujours aimé le hip hop, hurle Elsa pour couvrir le sample tarantinien de Pump It. Quand j’ai découvert les BEP, je suis allée fouiller dans leur passé, ils faisaient du hip hop super, mais rien à voir avec maintenant. » Mais bon, elle n’a pas l’air gênée plus que ça par le tour nant commercial du groupe. Bah, oui, c’est « hyper fédérateur », dit Bérangère en pointant le bus entier en train de brailler dans la joie. 18 h 28 : A l’avant du bus, une histoire extraordinaire. Aurélien, lycéen, est arrivé ce matin de Belfort pour voir ses oncles parisiens. Quand Benoît, son tonton de 37, ans lui avait textoté « Qu’est-ce qui te ferait plaisir pendant son séjour ? », il avait répondu : « Le concert des Black Eyed Peas ! », parce qu’il est gros fan : « Ils produisent bien. » David Guetta est son modèle, il veut devenir DJ. Mais bon, plus de tickets en vente ; alors ils jouent, et gagnent ! Aurélien ne danse pas, il se réserve pour plus tard. On sent que ça va bouger. Ses tontons avouent préférer les chanteurs français qu’on entend sur Nostalgie ou même le classique et le jazz, mais bon, les BEP pourquoi pas, sourientils en scandant Boom Boom Pow de la tête. 18 h 40 : Il faut que Maryline, Flora et Nedal, 18 ans, se calment : elles vont exploser d’excitation. Grosses ambianceuses, les “kidzettes” confient, sans arrêter leur danse boostée au beat de Shut Up, être grosses fans d’Usher et Beyoncé. Pas non plus du pointu, mais du moment que ça bouge. On sent que c’est, dans leur cas, la priorité. 19 h 03 : On a bien parlé (sur fond permanent de BEP puis, une fois les tubes épuisés, sur leurs petits et grand collègues commerciaux des dancefloors). C’est intéressant, ce que disent ces fans. On remarque que chacun, même ceux qui ont des goûts par ailleurs sagement pointus, a ses raisons d’aimer les Black Eyed Peas et que personne n’est dérangé par le virage ultra-commercial négocié par le groupe depuis quelques albums. Ils sont peu à avoir connu les BEP à leur époque hip hop puriste, avant Fergie. Maintenant, les vocoders et autres beats mixtes ratissent large. Et le mainstream, ça peut épuiser, à voir les cinquante kids et leurs aînés se reposer sur les banquettes avant la grande arrivée. 19 h 25 : On est à Saint Denis ! On descend du bus, laissant les fans, impatients, fous d’enthousiasme et d’excitation, courir vers le Stade de France. Il y aura de la musique, du show, et des larmes. Peut-être pas un grand moment d’humanité, mais quelque chose de « fédérateur », comme ils disent, quelques heures efficaces et joyeuses. Pourquoi pas ?