Pourquoi eux ? Pourquoi mettre particulièrement en avant ce petit duo de pop US, alors que des disques sortent chaque semaine comme s’il en pleuvait ? Parce que ceux-là sont spéciaux. Ils agitent la presse comme nul autre groupe, ils refusent de reproduire ad lib la recette du succès et tout le monde, même les non-mélomanes, trouve qu’ils ont un style fou. Rencontre sur leurs terres, à New York, avec deux jeunes – mais déjà confirmés – artistes, à l’orée de la sortie de leur second album. "Congratulations", qu’ils disaient.

Le 5 mars dernier, armés d’un pré-CD (entendez un nouveau CD pas sorti, que personne n’a sous la main et qui n’a pour le moment même pas encore été piraté), nous embarquons pour New York, histoire de rencontrer en exclusivité mondiale (c’est ce dont se targuent les privilégiés) le duo MGMT. “Aime-Ji-Aime-Ti”, disent les puristes, “Aime-Jé-Aime-Té”, prononçons- nous histoire de garder notre simplicité, vu qu’il ne faut plus dire “Management”, ce qu’on disait au moment de la sortie du premier opus il y a deux ans, mais qu’on ne dit plus. Alors, partir là-bas dans ce but exclusif, ça a des allures de privilège que vous n’imaginez même pas. La poignée de journalistes regroupée n’ose pas commenter l’affaire, et puis l’un craque : « T’as préparé tes questions ? Montre… ». C’est dire si le buzz est grand, alors que notre sujet d’étude n’a que 27 ans et demi de moyenne d’âge et, pour le moment, un seul album au compteur. Mais quel album ! “Oracular Spectacular” a été un fulgurant réservoir à tubes version électro pop, à commencer par les mythiques “Time to Pretend” et “Kids”. Ce dernier a même fait parler de lui outre mesure en France, puisque notre parti politique majoritaire, avide, comme tous le sont, de coolitude, se l’est approprié en guise de bande sonore lors de meetings et pour son site web. Procès, procès gagné, indemnités. Et notre duo a tout reversé à Haïti, pourtant pas encore sinistré. Mais MGMT est en toutes circonstances toujours précurseur, on ne le dira jamais assez. Un avant-gardisme chronique à décrypter d’urgence, puisque c’est sans doute grâce à celui-ci que les compères ont vendu deux millions d’albums et comptabilisé plus de 81 millions d’écoutes sur MySpace. Who is MGMT ? That is the question. That is aussi the adresse agréée pour écouter leur nouvel album (whoismgmt.com), celle qu’ils ont instaurée, lassés des mauvaises copies qui se sont vite répandues sur le web, peu après notre rencontre. Pas sûrs tout de même de ne pas se retrouver face à un énième sujet de buzz conjoncturel et pas complètement justifié, nous nous sommes préparés à rencontrer ceux dont l’aura était encore augmentée, s’il le fallait, par le fait que la collection masculine printemps-été 2009 de Gucci leur avait été dédiée. Des icônes de mode en prime ?

Le rendez-vous était donc pris en matinée, les après-midi étant vouées aux répétitions. Formula Studios, 450 W, 15th Street, un endroit parfait pour y poser votre futur loft, tout près du Chelsea Market, marché couvert où vous pourrez, si tout s’est mal passé, aller vous concocter un plateaurepas réconfortant et frais. Arrivés “on time”, vous attendez un brin avant de vous approcher des stars, à première vue deux choupinous pas complètement impressionnants. L’heure venue, Ben Goldwasser, le brun à lunettes d’intello, joueur de claviers de son état, est tout de suite disponible, l’oeil brillant, la poignée de main franche, prêt à savoir si c’est votre première visite ici, à commenter le temps qu’il fait. Andrew VanWyngarden, le blondinet, guitare, chant et de là, bien sûr, chouchou des filles, semble plus fatigué : « On a cinq minutes ? » Tout le temps que vous voulez. Je n’habite pas ici, je n’ai pas tant de projets. En fait de fashion victims, les deux adoptent un look simplissime, plus “Petit Bateau” – dont ils ont été avant Izia les égéries – que couture. Ben, qui dit avoir grandi à la campagne et ne pas être rompu à la fashion, rigole : « Tout cela est très flatteur. On nous a dotés d’une image de mecs cool, probablement grâce à notre clip de “Time to Pretend”, mais bon, enfin, nous n’avons pas les moyens de nous offrir des fringues Gucci ! » Retour d’Andrew, et nous voilà partis pour une petite demi-heure d’investigation. Commençons donc au commencement, à savoir comment ces deux-là se sont rencontrés. C’était à la fac, on le sait. Mais bon, cela a-t-il été spontanément évident : « Quand vous vous êtes connus, vous vous êtes reconnus ? » La question sera sans conteste celle qui leur plaira le plus de toutes, car bien sûr oui, ceux-là se sont bien trouvés, tout deux auto-proclamés “slackers” (fainéants tranquilles), qui aimaient écouter de la musique bizarre. Et du coup, tout n’a pas commencé sur les chapeaux de roues : « Au départ, nous avons commencé à faire de la musique ensemble comme une distraction, sans penser que nous allions créer un duo qui serait quelque chose de très spécial », commente Ben. « Nous jouions dans d’autres groupes que nous prenions davantage au sérieux. Ce que nous faisions ensemble, c’était même comme un projet parallèle, secondaire. Pendant un bon moment, cela n’a pas été notre priorité. Je pense qu’au final, cela nous a plutôt rendu service car si nous avions vraiment cherché à monter une structure avec l’ambition de drainer un vaste public, nous n’aurions pas saisi de la même façon les chances qui se sont offertes à nous. » Un disque est tout de même sorti de cette aventure, signé sur une major et bourré de tubes incroyables, certains ayant même été écrits des années auparavant, alors que les deux avaient à peine vingt ans. « Au moment de la sortie de l’album, nous étions déjà bien différents de ce que nous étions quand nous avons créé ces morceaux », explique Ben. « Le changement dont on parle aujourd’hui au sujet de notre musique ne s’est pas fait d’une façon radicale. » Reste que c’est aussi le succès qui a transformé MGMT : une entrée fulgurante dans le star-system, une tournée de quinze mois, et puis, au final, un considérable craquage nerveux (particulièrement chez Andrew). Au vu de cet engouement un brin étouffant, toutes les conditions n’étaient pas réunies pour les entraîner à jouer à l’avenir la carte de la facilité. « L’idée de faire quelque chose qui marche à coup sûr ne nous intéressait pas. Le succès lié à notre premier album a été quelque chose de génial, mais peut-être n’avons-nous pas été complètement compris », poursuit Ben. « Les gens nous ont spontanément vus comme un duo de pop électro, indissociablement lié à la notion de fête, ce qui est dans un certain sens vrai, bien sûr, mais nous ne sommes pas que cela. » Les deux Brian En effet, le groupe n’est pas qu’un souffle de vent léger. D’abord, à force d’écouter de la musique bizarre, Ben et Andrew se sont construit une solide culture, pas indispensable selon eux pour oeuvrer à son tour, mais importante car « depuis toujours, en musique, on part de ce qui a déjà été fait et on enrichit cela avec les nouvelles technologies dont on dispose, on y ajoute une pincée de l’air du temps. » Et de conclure : « Rien, musicalement, ne vient jamais de nulle part. » Du coup, les références des deux MGMT sont surprenantes. Les deux plus grands génies étant peut-être à leurs yeux Brian Eno (auquel est dédié un des titres de l’album, sautillant et pas du tout “enoesque”) et Brian Wilson. « Du fait de s’appeler Brian… ». Mais dans “Congratulations”, tout est possible. Il y a de la sunshine pop, du psychédélisme, beaucoup, du rock flamboyant, des accents Motown et puis des mots, ceux qu’écrit Andrew, sombres, poétiques, pleins de jeux de mots et de références (« Hope I’ll die before I get sold »…), qui tiennent une place majeure même s’ils arrivent à la fin du processus de création. « C’est une part vraiment importante de notre musique, qui peut dérouter. Mais si nous voulons que les gens soient surpris et réfléchissent, nous ne souhaitons pas pour autant choquer. Les chansons s’imposent à nous et nous les délivrons de la manière la plus sincère possible. » Fort de tout ça, cette semaine, l’album sort, et malgré (ou grâce à ?) ce manque de concessions revendiqué, les critiques sont d’ores et déjà dithyrambiques « Nous sommes heureux des réactions positives de la presse internationale. Nous n’osions espérer ce genre de réactions, enfin plutôt si, nous les espérions. Les journalistes vont certainement aider le public à comprendre l’album et à s’y intéresser », commente Andrew. Et puis il y a les concerts, dont le top départ a été donné il y a deux semaines au Trabendo. Là, les MGMT, escortés des trois autres musiciens intégrés au groupe, ont surpris. Toujours pas vraiment des bêtes de scène, toujours pas taillés pour faire Bercy, ils ont livré un show tout en finesse, apte à séduire le public. D’autant qu’ils étaient ravis d’être à Paris, capitale qui, s’ils l’ont séduite, les a tout autant ensorcelés. « C’est une ville magnifique, particulièrement en été. Les gens sont dehors et ce que l’on adore faire, c’est arpenter les ruessans but, marcher pour se perdre, trouver un endroit sympa pour se poser et regarder les gens vivre. C’est une question d’ambiance. » Un mot de conclusion spécial pour nous, alors ? En choeur : « Get ready for us !!! ». Tout le monde aura suivi.