Et c’est reparti pour “le choc des cultures” au Château de Versailles ! La star japonaise de l’art contemporain Takashi Murakami investit le domaine de Louis XIV avec ses oeuvres colorées, acidulées, inspirées par les films d’animation et les mangas. L’événement de la rentrée, sur fond de polémique…

jubilatoire. » C’est ainsi que Jean-Jacques Aillagon, président du Château de Versailles, définit l’exposition Murakami, jusque dans son principe. « L’idée de faire venir chaque année un très grand artiste mondialement connu ( Jeff Koons il y a deux ans et Xavier Veilhan l’année dernière, ndlr ), pour qu’il s’approprie le Château de Versailles en y exposant ses oeuvres, est très excitante. » C’est en effet devenu une tradition qui à chaque rentrée fait mouche. Les poids lourds de l’art contemporain se mesurent à Mansart, Lenôtre et Lebrun, et c’est cette fois-ci au tour du Japonais superstar d’investir les salles et les parterres royaux par la grâce du maître des lieux. Takashi Murakami, c’est un empire. L’artiste, âgé de 47 ans, dirige une sorte d’entreprise qui compte des dizaines d’assistants, d’artisans, d’artistes, réalisant sous son contrôle ses sculptures et peintures géantes bien connues. Inspirées par les divertissements de masse, la culture consumériste japonaise, la bande dessinée, les films d’animation et les mangas, par l’esthétique pop et “kawaï” (“mignon” en japonais), mais aussi par la peinture japonaise historique (dans le “savoir-faire” qu’elles requièrent), les oeuvres de Murakami, résolument pop, se déclinent en ballons géants, fleurs souriantes à visage humain, personnages à la fois hilares et inquiétants comme M. DOB (l’alter ego de l’artiste), le tout dans une débauche de couleurs acidulées et flashy. Mais la firme Murakami, c’est aussi une quantité invraisemblable de produits dérivés qui inondent le marché, des montres, des badges, des T-shirts, des pochettes de disques (il a réalisé celle de l’album “Graduation” du rappeur Kanye West)… Sans oublier des articles de mode sur lesquels il appose sa griffe, comme les sacs à main Louis Vuitton dont il a créé les imprimés, et qui l’ont propulsé au rang d’icône aux yeux des fashionistas du monde entier. Murakami le touche-à-tout, l’omniprésent, la star du marché de l’art, expose donc à Versailles. Une nouvelle étape dans son ascension. Il en rêvait ! « Pour un Japonais, y compris moi-même, le Château de Versailles est l’un des plus grands symboles de l’histoire occidentale », explique-t-il. L’exposition se compose de vingt-deux oeuvres (dont onze créées spécialement pour l’événement) réparties dans les salles du château. Une sculpture se trouve à l’extérieur, sur le parterre d’eau : l’“Oval Buddha” en bronze, acier et feuilles d’or. Cette imposante statue d’un personnage à double visage qui repose sur un éléphant est issue d’une collaboration avec le créateur de mode Issey Miyake.

Du bling-bling avec Pharrell

Autre association d’artistes dont on peut voir le résultat : la sculpture “The Simple Things” (dans le salon des Nobles), réalisée en duo avec Pharrell Williams, musicien et producteur de hip-hop. Totalement bling-bling, cette oeuvre est composée d’or et de plusieurs milliers de pierres précieuses. Logique, puisque l’un des objectifs avoués de Murakami était de nous en mettre plein les yeux et d’imaginer un « récit fantastique » qui inviterait le visiteur « à découvrir le pays des merveilles de Versailles »… Deux personnages, Kaikai et Kiki, siègent dans le salon de Vénus, tandis qu’un “Mister Pointy” de huit mètres de haut, perché sur des fleurs de lotus, a pris place dans le salon d’Hercule. Un étrange mobilier fait de champignons atomiques bariolés jonche le salon de Mercure, une bimbo pas très classe investit le salon de la Guerre, une immense décoration florale est disposée dans la galerie des Glaces, tandis que dans la salle des Gardes du roi, une vaste peinture murale, des lampes à suspension en verre teinté et un tapis forment une « oeuvre d’art totale ». Toute l’exposition, cette « folie éphémère », comme l’appelle Laurent Le Bon son commissaire, explose de couleurs vives, de formes rondes et rassurantes, de délires et de trouvailles charmantes. C’est plutôt sympathique, amusant, bon enfant. On se croirait dans un jeu vidéo ou dans un parc d’attractions peuplé de jouets géants. L’expo n’en est pas moins déroutante. Car on a beau se défendre d’être réac, on peut trouver pour le moins incongru de se voir imposer dans le même champ de vision les monstres gentils ou les fleurs en plastique de Murakami à côté des peintures rococo de François Le Moine et autres chapiteaux, pilastres et trophées en bronze du XVIIe. Mais lorsqu’on l’interroge sur la légitimité de cet événement, sur ses intentions provocatrices, Jean-Jacques Aillagon répond : « Aujourd’hui, c’est une certitude que l’art ancien et l’art contemporain peuvent cohabiter. De tout temps, Versailles a été le lieu où se confrontaient plusieurs époques ou courants artistiques. Au XVIIe plus que jamais, il y avait une véritable disponibilité et une ouverture à l’égard de la création. La notoriété de Murakami rivalise amplement avec la grandeur du Château. » De toutes façons, comme le dit la formule, c’est au public de décider. Or, depuis des mois, cette expo déchaîne la folie au Japon avant même d’avoir ouvert. L’équation “Murakami + Versailles” crée un énorme buzz et met les foules en transe. Nombreux sont ceux qui là-bas ont d’ores et déjà réservé leur voyage organisé spécialement pour venir visiter l’expo ! Une chose est sûre : la curiosité poussera le public à venir découvrir les oeuvres du Japonais, et les chiffres de la fréquentation s’en trouveront certainement augmentés. « L’écho international de Jeff Koons a été pour nous une campagne de promotion exceptionnelle », nous dit Aillagon, qui veut faire du chiffre, par tous les moyens. Au moins ne s’en cache-t-il pas. Des moyens qui ne sont pas du goût de tout le monde puisque de nombreuses voix – dont certaines franchement réactionnaires, pour le coup – s’élèvent pour dénoncer « l’opération de promotion commerciale et les spéculations des marchands d’art » (sur le site www.versailles-mon-amour.fr) ou la « politique de néo-vandalisme spéculatif international » (sur http://coordination-defense-de-versailles.info/). Pour se faire une opinion, rien de mieux que d’aller voir par soi-même. Pour ou contre Murakami à Versailles : c’est le grand débat de la rentrée !