Kevin Douvillez coprogramme le fameux festival des Francofolies. Pour trouver les 120 meilleurs artistes français ou francophones de l’année, il lui faut tout voir et entendre. A travers ses salles parisiennes préférées, ce Breton pure souche évoque sa vision du métier, de la création, de la politique culturelle et de la chanson française.

L’International, café-concert « J’y suis souvent. C’est le genre de lieux qui devraient se développer dans Paris. Un principe d’entrée gratuite, avec deux ou trois concerts par soir, c’est un vrai laboratoire pour jeunes artistes, où j’ai fait des découvertes, ou des confirmations de gens que je suivais depuis un certain temps, comme Zaz, en novembre 2009. Je la voyais pour la première fois sur scène. Ce n’était pas un spectacle optimal, mais sa fraîcheur, sa bonne humeur éclataient. J’ai aussi, là bas, récemment vu Rover, qui va faire le “chantier des Francos” (suivi et sessions de travail accompagné pour des artistes émergents. Parmi les participants depuis 1998 : Cali, Emily Loizeau, Ours ou Pauline Croze ndlr). C’est un grand gaillard d’1,95 m, qui fait une musique à la Bowie, très aérienne. Pour eux, ce lieu n’est pas un aboutissement, mais un terrain pour se faire connaître et tester des choses. Là, Rover se testait seul, sans son groupe, ce qui me l’a rendu d’autant plus touchant. Le défaut du lieu, c’est évidemment le bruit, les gens viennent autant pour la musique que pour boire un verre, mais c’est le jeu, et c’est l’un des endroits où les espaces sont le mieux séparés. Pourquoi le rock anglo-saxon est-il bon ? Parce qu’il existe là-bas une multitude de lieux de ce genre, pour s’affiner, jouer encore et encore, développer un vrai live. L’International est l’un de ceux qui réussissent le mieux à Paris, avec une programmation large d’esprit et de style, dans de bonnes conditions avec un public fidèle, ce qui garantit aux artistes de jouer devant un salle pleine. » 5/7 rue Moret, 11e. Tél. : 01 49 29 76 45. Ouvert tous les jours de 17 h à 2 h, happy hour jusqu’à 21 h. Infos et programmation : www.linternational.fr.

La Loge Théâtre « Une petite salle très mignonette, avec environ 80 places assises, mais c’est une vraie salle de spectacle, avec une belle scène version mini. Je n’y vais pas souvent, mais je suis la programmation. Ils ont une super ligne éditoriale, un mélange de variété, de spectacle, d’humour. Il y a une grande délicatesse dans les choix, avec aussi une vraie prise de risques. Par exemple, cette année, on y a vu GieDré, de la chanson humoristique vraiment très caustique, ou Mariscal, un artiste quelque part à la croisée des chemins entre Dominique A. et Fredo Viola, qui a fait le chantier des Francos. Il n’est pas évident à présenter, parce que sa musique n’est pas assez commerciale pour être une priorité pour l’industrie du disque. L’entrée est payante mais avec de petits tarifs. Je crois que l’équipe est très accompagnante dans les relations avec les artistes. Ce n’est pas juste de la location de salle, ils essaient de faire en sorte que tout le monde y trouve son compte dans une économie pourtant précaire. » 77, rue de Charonne, 11e. Tél. 01 40 09 70 40. Infos et programmation : www.lalogeparis.fr

La Maroquinerie « Cette salle me plaît, elle a toujours eu une belle ligne éditoriale. Ça fonctionne en deux temps : une programmation propre et de la location de salle, mais choisie, en accord avec la ligne choisie. J’aime à la fois la programmation et l’ambiance globale. La configuration n’est pas optimum, avec des poteaux qui peuvent gêner la vue, et quand il y a du monde, on a vite chaud. Mais c’est largement rattrapé par l’ambiance générale, le restaurant où tout est super bon, et qui est tenu par des personnes très sympas qui insufflent un bon esprit. Beaucoup de gens du métier fréquentent l’endroit parce que leurs bureaux sont dans l’immeuble. C’est un lieu de création, siège d’une véritable ébullition culturelle, d’échange, de connaissance, de partage et de fête. » 23, rue Boyer, 20e. Tél. : 01 40 33 35 05. Restaurant : tous les jours de 19 h 30 à 23 h 30, réservation au 01 40 33 64 85. Programmation et menu sur www.lamaroquinerie.fr.

La Cigale et la Boule Noire « Pour un artiste, jouer à la Cigale n’est pas l’ultime consécration, mais cela signifie que le projet marche, qu’il est en bon chemin. J’aime beaucoup y voir des concerts : c’est pour moi l’une des plus belles salles, parce que le rapport scène-salle est presque idéal. On voit bien de partout, c’est un théâtre à l’ancienne avec son cadre rouge, mais qui peut quand même accueillir du rock, même l’électro fonctionne, dans un lieu qui a un vrai cachet parisien, et moi qui viens de province, j’y suis très sensible. La salle est couplée avec la Boule Noire, juste en dessous, gérée par la même équipe. C’est une salle de soussol, avec du parquet, chargée d’histoire, puisque c’est là que s’est déroulé le fait divers dont s’inspire le film Casque d’or. Si je fais ce métier, si je prends tant de plaisir à mes déambulations nocturnes, c’est parce que j’ai aimé cette histoire de Paris la Nuit, avec toutes ses différentes époques : Montmartre à la fin du XIXe avec l’apparition du Moulin Rouge et du french cancan, l’ébullition de Pigalle, avec le peuple qui a enfin la possibilité de sortir et qui va dans les bals… Puis c’est le Montparnasse des années 1910 à 20, une émulation culturelle, les artistes qui se retrouvent dans les troquets et la chanson française qui balbutie avec Aristide Bruant à Montmartre, puis Saint-Germain-des-Prés, Vian et Gréco, et les années 80, les sorties nocturnes de Gainsbourg, le Palace et les Bains- Douches, qui sont à la fois des lieux de fête et de concerts. Sans forcément participer, j’aime être témoin de la vie nocturne. J’éprouve un plaisir provincial à me retrouver dans ces lieux emblématiques de la nuit. » 120 Boulevard de Rochechouart 18e, Tél 01 49 25 81 75. Infos et programmation www.lacigale.fr, et www.laboule-noire.fr

La Gare aux Gorilles C’est un squat. Il en existait beaucoup à Paris, ils ont malheureusement majoritairement disparu depuis mon arrivée, en 2000. J’étais un habitué de ces lieux : Les Falaises, rue Germain Pilon, où l’on pouvait écouter du “nu-jazz”, de Steve Coleman à Jazzmatazz, et boire des bières pas chères dans un esprit très associatif. Il y avait aussi la Générale, un gros bâtiment désaffecté dans Belleville, qui avait été investi par des ateliers d’artistes, et toutes sortes de concerts. A la Gare au Gorille, on retrouve cet esprit un peu disparu. J’y ai vu un concert dingue du groupe Sexy Sushi, en juillet 2010 : ils avaient demandé à tous les fans d’écrire un poème sur Satan, certains tirés au sort étaient affichés sur le mur, et ils ont fait un concert sur ce thème. Dans l’esprit squat, les boissons ne coûtent presque rien, on peut même apporter la sienne. Ces lieux sont importants : ils sont un tissu culturel et associatif essentiels à la création, il faut qu’ils puissent exister, se développer. » • 1, avenue Corentin Cariou, 19e. M° Corentin Cariou. Programmation sur www.myspace.com/lagareauxgorilles.