Sur fond de guerre esthétique et de choc générationnel, une drôle de confrontation se joue ces temps-ci entre revenants de la new wave et jeunes loups cold wave. Décryptage d’une opposition de style qui fascine la musique électronique des années 2000, à travers six exemples. Orchestral Manoeuvres in the Dark Mélodies synthétiques voluptueuses, lignes de basses à l’audace raffinée et esthétique pop élégante, Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD) porta haut les idéaux artistiques de la new wave naissante au début des années 80. Avec des tubes planétaires comme l’imparable Enola Gay et des albums impeccables (Organisation, Architecture and Morality), Andy McCluskey et Paul Humphreys furent parmi les premiers à sortir la musique électronique de la seule sphère expérimentale, écoulant au passage des millions de disques. Trente ans après leurs premiers succès, l’utopie musicale OMD prend des allures de pastiche maniéré sur le nouvel opus History of Modernity paru à l’automne dernier. Le temps passé à sonder les profondeurs avant-gardistes de la pop a t-il fini par les éloigner définitivement de la lumière ? Paris Bâti sur les cendres d’un monde actuel en ruine et sur un pragmatisme idéologique angoissant, Paris, le sombre side-project du chanteur de Poni Hoax Nicolas Ker, a des allures de soleil noir dans le paysage sonore français. Entre brutalité diffuse et idéalisme émotionnel en faillite, la musique de Paris mêle climats sonores polaires, mélodies cold wave chancelantes et textes étouffants de noirceur élégante. « La cold wave repose sur une honnêteté qui ne ment pas. Elle donne une dimension implacable à ces tourments et ces désillusions qui, mis en musique, font naître une frustration qui colle au plus près de notre réalité sans espoir », affirmait Nicolas Ker lors de la sortie du second maxi In Crowded Subways en novembre 2010. La preuve que du noir peut émerger d’incroyables beautés à l’essence empoisonnée. The Human League A voir le public venu nombreux lors de leur récent concert parisien, célébrant avec une nostalgie rafraîchissante leurs hymnes intemporels, les Human League apparaissent comme le groupe issu de la déferlante new wave des années 80 qui aura le mieux fait fructifier son héritage à travers le temps. Malgré une carrière chaotique depuis une grosse vingtaine d’années, la formation anglaise resserrée depuis 1990 autour du chanteur Phil Oakey et des choristes Susanne Sulley et Joanne Catherall fascine toujours. Son secret ? Une vision artistique progressiste et terriblement efficace qui aura influencé des artistes tels que Moby, Ministry of Sound, Lady Gaga ou encore les militantes électro-punk de Le Tigre. Alors tant pis si le nouvel album Credo déçoit : les anticipations synthétiques des humanoïdes de Sheffield restent une référence pour toute la “néo-new wave” des années 2000. La Roux « La musique des années 1980 a été une épopée d’audace et de créativité. » Porté aux nues par toute une nouvelle génération d’adorateurs synth-pop nourrie au design sonore sombre et réformiste des Depeche Mode, Yazoo et autres Human League, le duo britannique La Roux et son égérie capillaire la chanteuse Elly Jackson ont réhabilité avec une spontanéité et une classe sidérantes la romance douloureuse et l’esthétique coup de poing qui faisait de la new wave une révolution fascinante. Avec son look androgyne et son visage qui semble décrire mieux qu’aucun discours l’ambivalence trompeuse de notre époque, Elly est devenue une icône pour la jeunesse. Ses chansons entre pop rétro, dance mutante et techno passée à l’essoreuse pop ont suscité un véritable revival new wave outre-Manche en 2009 avec le succès des singles Quicksand et Bulletproof, et la sortie du premier album homonyme du groupe la même année. Cold Cave Avec un nom à faire flipper un mort, il ne fallait pas s’attendre a ce que la musique de cette formation électro-pop venue de Philadelphie vous fasse voir la vie en rose. Nappes de synthé élevées dans l’obscurité cold du Low de David Bowie, guitares post-punk menaçantes comme un ciel bombardé et textes directement inspirés des expérimentations postmodernes effrayantes des premiers disques de Cure et de Joy Division, la musique de Cold Cave a tout pour congeler pendant dix ans les plus intenses des débordements. Le combo emmené par le trentenaire pessimiste Wesley Eisold livre avec l’album Cherish the Light Years l’une des claques sonores les plus marquantes de ce début d’année. Une course entre le macabre et le grandiose, les espoirs funestes et la beauté furtive du renoncement, l’énergie rock fracassante et la cérébralité cold wave. Duran Duran Véritables têtes à claques médiatiques (à cause de leurs passion coupable pour les séances de maquillage et leurs permanentes bouffantes à la Krystle Carrington de la série culte Dynasty), ils ont pourtant symbolisé comme personne cet étrange mélange d’esthétique glamour ultra-visuelle, de légèreté pop presque naïve et de rêves de gloire extrême. Si des hits comme The Reflex, Wild Boys ou encore Notorious ont donné au chanteur Simon Le Bon et à ses acolytes un passeport définitif pour la postérité télévisuelle (merci MTV !), la new wave inventive du crew de Birmingham a souvent été injustement tournée en ridicule. Mais les choses pourraient bien changer aujourd’hui avec la belle surprise que représente leur nouvel album All You Need Is Now. Produit par le petit démiurge pop Mark Ronson, le disque étale rondeurs électro-pop aguicheuses, rythmiques dance qui auraient écouté du Timbaland et une candeur vocale qui vous fait presque oublier que les Duran Duran ont plus de cinquante balais. Toujours aussi efficaces, toujours aussi crâneurs, toujours aussi futiles et toujours aussi charmeurs (sans trop faire les vieux beaux, hein ...), les Duran Duran sont peut-être en passe de faire croire à la musique électronique des années 2000 que la new wave a débarqué il y a seulement deux ans. Gasp !