La culture en musique

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lundi, novembre 29 2010

Le cinéma tourné dans le metro

Si vous allez voir A bout portant au cinéma, vous y découvrirez une intense course-poursuite avec Gilles Lellouche dans les entrailles du métro parisien. L’occasion de revenir sur le lien fort qui unit depuis longtemps cinéma et métro.

Faisant partie intégrante de notre univers de voyageur quotidien, le métro parisien fait également partie intégrante de notre univers de spectateurs. Ainsi, entre Sara Forestier se baladant nue dans une rame de la ligne 6 dans Le Nom des gens, Julie-Marie Parmentier arpentant la Gare d’Austerlitz dans No et moi, Pascal Greggory marchant sous la ligne 6 dans Quartier lointain, Benoît Magimel prenant la 14 dans Mon pote, ou Gilles Lellouche poursuivi par la police dans les couloirs de la station Auber (A bout portant), ce ne sont pas moins de cinq films en ce moment à l’affiche qui comportent des scènes tournées dans le métro, et près de 31 tournages de films qui ont eu lieu dans le métro et le RER en 2010. Symbole de Paris au même titre que la tour Eiffel ou les Champs-Elysées, le métro est donc une figure incontournable pour les réalisateurs qui situent l’action de leur film dans la capitale.

Régulièrement sollicitée par le cinéma, mais privilégiant bien évidemment le transport des voyageurs aux tournages, la RATP a mis à la disposition des équipes de films une station désaffectée, Porte des Lilas-cinéma, totalement indépendante du service voyageur, ouverte de 8 h à 20 h, et redécorable à souhait, comme ce fut le cas avec Jean-Pierre Jeunet qui l’immortalisa maquillée en station Abbesses dans “Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain”. Ouvrant également ses lignes en pleine journée aux équipes réduites, la RATP et son service entièrement dédié aux tournages se mettent en quatre pour faciliter leur travail. « C’est une façon pour nous de soutenir la création, et de valoriser nos espaces », souligne Karine Lehongre-Richard, responsable des tournages à la RATP. Epluchant les scénarios pour évaluer les faisabilités techniques, elle ne refuse que les scripts portant atteinte à l’image de la RATP. « Ce qui n’est pour l’instant jamais arrivé, précise-t-elle, les seuls refus étant dus à des délais de demandes trop courts. » Car, il ne faut pas s’y tromper, tourner dans le métro demande tout de même une certaine logistique et certains frais. Facturant ses services, mais ne faisant pas un commerce de l’accueil des productions, la RATP prend en compte le coût du matériel et du personnel mis à disposition, afin que chaque tournage se déroule en toute sécurité. Ainsi aidés par une politique de communication qui leur a largement facilité la tâche ces dernières années, les professionnels de la profession n’hésitent plus à descendre sous terre pour y filmer les scènes qu’ils avaient rêvées sur papier, comme le confirme Fred Cavayé, réalisateur de A bout portant : « Le fait que l’histoire se déroule dans des lieux que tout le monde connaît renforce sa véracité, et donc l’intensité du suspense. » Mais l’exercice, même si on a correctement validé son “titre de tournage”, n’est pas sans contraintes : « Pour tourner la poursuite dans le métro, ma journée de travail commençait à 1 heure du matin et finissait à 5 heures ! C’est-à-dire que je ne disposais que de 4 heures, installation comprise ! Là, vous n’avez pas droit à l’erreur. »

Une erreur, pourtant, a bien failli compromettre cette folle aventure souterraine, comme le raconte l’acteur Gilles Lellouche. « Il était 5 heures du matin, on avait fait je ne sais combien de fois cette scène où je descends en courant et à contre-sens l’escalator du métro, je commençais à bien la maîtriser, je me prenais même pour le Rémy Julienne de Melun ! Et le réalisateur m’a dit : “Ce serait bien que tu tournes ton visage vers la caméra, pour qu’on te voie bien.” Evidemment, en me retournant, le pied est parti et... boum ! Je me suis foulé la cheville ! Heureusement, les autres scènes d’action étaient plutôt sur la fin du tournage. » Une petite mésaventure pour Gilles Lellouche, mais celle qui est arrivée à Jean-Paul Belmondo en 1974 sur le tournage de “Peur sur la ville” aurait bien pu lui coûter la vie. Lors de la scène mythique où notre Bébel national court sur les toits du métro de la ligne 6, la star a bien failli toucher à pleine vitesse une tige métallique au moment d’entrer sous le tunnel après le viaduc de Bir-Hakeim. Le spécialiste de la cascade n’a alors dû son salut qu’à sa dextérité et à sa présence d’esprit, se décalant in extremis en rampant vers l’extérieur du toit. Autre mésaventure, mais plus cocasse celle-ci, dans “Mesrine”, lorsque l’ennemi public n°1 (Vincent Cassel), en fuite avec Ardouin (Samuel Le Bihan), son complice de hold-up, se réfugie dans le métro. Là, alors que nous sommes au coeur des années 70, on voit une rame moderne passer en arrière-plan… Etrange ! Des faux raccords qui, tout comme le parcours improbable de Gilles Lellouche dans A bout portant, passant de Saint-Augustin à Auber en l’espace d’une seconde, ne nuisent pas au plaisir du spectateur, qui redécouvre à l’écran les couloirs qu’il arpente tous les jours. Et pour tous ceux qui ont raté Meryl Streep à la station Porte des Lilas l’an passé dans Julie et Julia sachez que vous pourrez retrouver le 15 décembre une autre star, Angelina Jolie (si, si !) à la station Temple, dans The Tourist… mais seulement au cinéma !

mardi, novembre 23 2010

Arcade Mode, un webshop activiste

La boutique en ligne officielle des labels Ed Banger et Institubes, associée avec de nouveaux labels étrangers, fait peau neuve et s’impose un peu plus comme la plaque tournante d’une contre-culture devenue art de vivre pour la jeunesse mondiale des années 2000. Emile Shahidi, créateur et gérant d’Arcade Mode, revient en détail sur l’aventure.

Comment est né le projet Arcade Mode ? Emile Shahidi : Vers 2003, j’ai monté une boutique en ligne destinée à la vente de T-shirts et d’objets en série limitée sous le nom Arcade Mode. La distribution d’Ed Banger et Institubes, deux labels amis, étant encore fragile, j’ai proposé à Pedro Winter et Teki Latex (leurs patrons respectifs, ndlr) de se servir d’Arcade Mode comme boutique en ligne officielle, sur le modèle des “stores” américains regroupant les labels de rap indépendants à la fin des années 90. L’enthousiasme suscité (chez les fans comme chez nous) par les premières sorties d’Institubes et Ed Banger nous a fait entrevoir un genre de renouveau de la scène club française à partir de 2005. On a donc essayé d’y contribuer au maximum comme un catalyseur parmi d’autres, afin de faciliter la visibilité de jeunes talents en province ou à Paris, et la floraison de vocations de producteurs ayant des affinités avec la musique des artistes que nous distribuions. On a donc pu y suivre l’apparition de nouveaux talents comme Justice, Surkin, Uffie, Para One, Bobmo, Sebastian et beaucoup d’autres...

Peux-tu présenter les grandes lignes de la nouvelle version du shop, ainsi que son activisme pour le vinyle ? Après une année d’hibernation entièrement dédiée à mes activités chez Institubes, je viens d’inaugurer la nouvelle version d’Arcademode.com où, en plus des labels français, nous accueillons de nouvelles familles comme Mad Decent (fondé par Diplo), Fool’s Gold (le label d’A-Trak), Phantasy Sound (celui d’Erol Alkan) ou Turbo (le label de Tiga). Ce sont des homologues et des amis chez qui nous retrouvons les mêmes velléités de développement d’une vision généraliste et indépendante. La prédilection pour le vinyle a été favorisée par le travail de talentueux graphistes et illustrateurs comme SoMe, Sanghon Kim, Akroe, Gaspirator ou Partel Oliva, qui ont complété l’oeuvre des musiciens et des labels en participant de manière très active à la définition de ceux-ci, très loin de l’approche “white label” et des pochettes génériques très majoritaires chez les labels underground au tournant de la décennie.

Quelles sont vos exclusivités du moment et/ou dans un futur proche ? Nous développons beaucoup de collaborations avec des labels et artistes amis , à commencer par une série de T-shirts limités avec le label Mad Decent – fondé par Diplo et maison du projet Major Lazer, qui était sans doute “l’objet dance” le plus intéressant de 2009 –, et beaucoup d’autres à venir dont une collaboration avec SoMe (qui signe tous nos logos) et une autre avec l’illustrateur Superdeux. A court et moyen terme, quels sont les projets d’Arcade Mode ? Nous allons continuer à offrir des séries limitées développées avec ces labels, organiser quelques événements où toutes ces familles se croisent à Paris et, je l’espère, accompagner l’essor d’une nouvelle vague d’artistes français. On peut déjà saluer le travail de labels comme Youngunz ou Club Cheval.

www.arcademode.com

lundi, novembre 8 2010

Nuits capitales à Paris

C’est un peu le feuilleton de la nuit qui tient en haleine les Parisiens noctambules inquiets pour l’avenir de leurs bars préférés, les professionnels de la profession dont l’avenir est en jeu, et les couchetôt qui aimeraient pouvoir dormir la nuit au lieu de faire la chouette dans leur lit. Tout démarre fin 2009, quand les plaintes pour nuisances sonores et les fermetures administratives de lieux pleuvent en série. Comment expliquer ce phénomène étrange ? Davantage de répression dans notre chère capitale ? L’interdiction de fumer dans les lieux publics ? Si elle est une bonne chose pour la santé de tous, cette mesure a malheureusement eu pour conséquence de pousser les fumeurs sur les trottoirs parisiens, d’où le ras-le-bol de certains habitant au-dessus des restaurants, bars ou clubs non équipés de fumoirs – c’est-à-dire, la plupart des lieux ! Pour alerter l’opinion publique et les politiques, une pétition a été lancée en novembre, intitulée “Paris, quand la nuit meurt en silence”. Cette dernière a recueilli plus de 16 000 signatures et a fait pas mal parler d’elle puisque même le New York Times s’en est fait écho. Une publicité pas franchement du goût des professionnels du tourisme qui craignent ainsi que les visiteurs désertent Paris, pensant qu’elle serait devenue la “capitale de l’ennui”. En attendant les Etats généraux de la nuit qui doivent se tenir cette semaine avec les professionnels et les associations de riverains afin de démarrer un dialogue constructif dans le respect de chacun, cinq jours de fêtes intitulées Les Nuits capitales se profilent à l’horizon, du 17 au 21 novembre. Plus de cinquante lieux participent, des salles de concerts aux clubs en passant par les bars, tous ceux qui comptent et qui sont indispensables à la nuit parisienne. La liste est longue : citons la Flèche d’or, le Rex Club, Chez Moune, le Réservoir, le Queen, le Social Club, le Batofar, le Cabaret Sauvage, la Bellevilloise, le Nouveau Casino, la Maison des Métallos, le Belushi’s... Les artistes et DJ’s sont bien sûr nombreux à soutenir cette semaine de la fête. Signalons notamment la présence de la star de la techno de Detroit, Derrick May ! Et puis, il y en aura plein d’autres comme Feadz, Ivan Smagghe, Jennifer Cardini, Howie B., Mlle Caro, La Villette Sonique Crew, South Central... Allez, dansez maintenant !

Pour connaître la programmation de la semaine : www.nuitscapitales.com.

mardi, octobre 5 2010

Murakami au Château : Versailles kawaï !

Et c’est reparti pour “le choc des cultures” au Château de Versailles ! La star japonaise de l’art contemporain Takashi Murakami investit le domaine de Louis XIV avec ses oeuvres colorées, acidulées, inspirées par les films d’animation et les mangas. L’événement de la rentrée, sur fond de polémique…

jubilatoire. » C’est ainsi que Jean-Jacques Aillagon, président du Château de Versailles, définit l’exposition Murakami, jusque dans son principe. « L’idée de faire venir chaque année un très grand artiste mondialement connu ( Jeff Koons il y a deux ans et Xavier Veilhan l’année dernière, ndlr ), pour qu’il s’approprie le Château de Versailles en y exposant ses oeuvres, est très excitante. » C’est en effet devenu une tradition qui à chaque rentrée fait mouche. Les poids lourds de l’art contemporain se mesurent à Mansart, Lenôtre et Lebrun, et c’est cette fois-ci au tour du Japonais superstar d’investir les salles et les parterres royaux par la grâce du maître des lieux. Takashi Murakami, c’est un empire. L’artiste, âgé de 47 ans, dirige une sorte d’entreprise qui compte des dizaines d’assistants, d’artisans, d’artistes, réalisant sous son contrôle ses sculptures et peintures géantes bien connues. Inspirées par les divertissements de masse, la culture consumériste japonaise, la bande dessinée, les films d’animation et les mangas, par l’esthétique pop et “kawaï” (“mignon” en japonais), mais aussi par la peinture japonaise historique (dans le “savoir-faire” qu’elles requièrent), les oeuvres de Murakami, résolument pop, se déclinent en ballons géants, fleurs souriantes à visage humain, personnages à la fois hilares et inquiétants comme M. DOB (l’alter ego de l’artiste), le tout dans une débauche de couleurs acidulées et flashy. Mais la firme Murakami, c’est aussi une quantité invraisemblable de produits dérivés qui inondent le marché, des montres, des badges, des T-shirts, des pochettes de disques (il a réalisé celle de l’album “Graduation” du rappeur Kanye West)… Sans oublier des articles de mode sur lesquels il appose sa griffe, comme les sacs à main Louis Vuitton dont il a créé les imprimés, et qui l’ont propulsé au rang d’icône aux yeux des fashionistas du monde entier. Murakami le touche-à-tout, l’omniprésent, la star du marché de l’art, expose donc à Versailles. Une nouvelle étape dans son ascension. Il en rêvait ! « Pour un Japonais, y compris moi-même, le Château de Versailles est l’un des plus grands symboles de l’histoire occidentale », explique-t-il. L’exposition se compose de vingt-deux oeuvres (dont onze créées spécialement pour l’événement) réparties dans les salles du château. Une sculpture se trouve à l’extérieur, sur le parterre d’eau : l’“Oval Buddha” en bronze, acier et feuilles d’or. Cette imposante statue d’un personnage à double visage qui repose sur un éléphant est issue d’une collaboration avec le créateur de mode Issey Miyake.

Du bling-bling avec Pharrell

Autre association d’artistes dont on peut voir le résultat : la sculpture “The Simple Things” (dans le salon des Nobles), réalisée en duo avec Pharrell Williams, musicien et producteur de hip-hop. Totalement bling-bling, cette oeuvre est composée d’or et de plusieurs milliers de pierres précieuses. Logique, puisque l’un des objectifs avoués de Murakami était de nous en mettre plein les yeux et d’imaginer un « récit fantastique » qui inviterait le visiteur « à découvrir le pays des merveilles de Versailles »… Deux personnages, Kaikai et Kiki, siègent dans le salon de Vénus, tandis qu’un “Mister Pointy” de huit mètres de haut, perché sur des fleurs de lotus, a pris place dans le salon d’Hercule. Un étrange mobilier fait de champignons atomiques bariolés jonche le salon de Mercure, une bimbo pas très classe investit le salon de la Guerre, une immense décoration florale est disposée dans la galerie des Glaces, tandis que dans la salle des Gardes du roi, une vaste peinture murale, des lampes à suspension en verre teinté et un tapis forment une « oeuvre d’art totale ». Toute l’exposition, cette « folie éphémère », comme l’appelle Laurent Le Bon son commissaire, explose de couleurs vives, de formes rondes et rassurantes, de délires et de trouvailles charmantes. C’est plutôt sympathique, amusant, bon enfant. On se croirait dans un jeu vidéo ou dans un parc d’attractions peuplé de jouets géants. L’expo n’en est pas moins déroutante. Car on a beau se défendre d’être réac, on peut trouver pour le moins incongru de se voir imposer dans le même champ de vision les monstres gentils ou les fleurs en plastique de Murakami à côté des peintures rococo de François Le Moine et autres chapiteaux, pilastres et trophées en bronze du XVIIe. Mais lorsqu’on l’interroge sur la légitimité de cet événement, sur ses intentions provocatrices, Jean-Jacques Aillagon répond : « Aujourd’hui, c’est une certitude que l’art ancien et l’art contemporain peuvent cohabiter. De tout temps, Versailles a été le lieu où se confrontaient plusieurs époques ou courants artistiques. Au XVIIe plus que jamais, il y avait une véritable disponibilité et une ouverture à l’égard de la création. La notoriété de Murakami rivalise amplement avec la grandeur du Château. » De toutes façons, comme le dit la formule, c’est au public de décider. Or, depuis des mois, cette expo déchaîne la folie au Japon avant même d’avoir ouvert. L’équation “Murakami + Versailles” crée un énorme buzz et met les foules en transe. Nombreux sont ceux qui là-bas ont d’ores et déjà réservé leur voyage organisé spécialement pour venir visiter l’expo ! Une chose est sûre : la curiosité poussera le public à venir découvrir les oeuvres du Japonais, et les chiffres de la fréquentation s’en trouveront certainement augmentés. « L’écho international de Jeff Koons a été pour nous une campagne de promotion exceptionnelle », nous dit Aillagon, qui veut faire du chiffre, par tous les moyens. Au moins ne s’en cache-t-il pas. Des moyens qui ne sont pas du goût de tout le monde puisque de nombreuses voix – dont certaines franchement réactionnaires, pour le coup – s’élèvent pour dénoncer « l’opération de promotion commerciale et les spéculations des marchands d’art » (sur le site www.versailles-mon-amour.fr) ou la « politique de néo-vandalisme spéculatif international » (sur http://coordination-defense-de-versailles.info/). Pour se faire une opinion, rien de mieux que d’aller voir par soi-même. Pour ou contre Murakami à Versailles : c’est le grand débat de la rentrée !

lundi, août 30 2010

Les Chemins de la liberté

De la Sibérie à l’Inde, Peter Weir nous fait revivre la marche pour la liberté des évadés du goulag dans “Les Chemins de la liberté”, le premier film américain sur l’enfer des prisons soviétiques, où furent internés près de vingt millions d’hommes.

Que c’est passionnant de voir travailler un perfectionniste. Méticuleux dans la mise en place des différents éléments du décor, précis dans ses demandes au directeur de la photo, Russell Boyd, quant à la lumière, hyper pointilleux dans sa direction d’acteurs, il n’y a pas de mot assez fort pour qualifier la méthode de Peter Weir. Au coeur de la Bulgarie, le réalisateur a reconstitué le périple de sept prisonniers, évadés d’un goulag près du cercle polaire, qui ont marché jusqu’en Inde. L’homme est tellement investi dans son travail qu’il s’est tordu le genou. C’est aujourd’hui d’un fauteuil roulant, la jambe gauche maintenue à la verticale, shooté par une piqûre de cortisone, qu’il dirige son équipe. Ce n’est pas son habitude d’être statique sur un plateau. Ses collaborateurs le décrivent comme un ressort, toujours en mouvement. Peter Weir aime les expériences extrêmes. “Master and Commander”, c’est lui : l’épopée à travers l’océan Pacifique d’un navire britannique commandé par Russell Crowe pendant les guerres napoléoniennes. On lui doit aussi “The Truman Show” sur les délires de la téléréalité - le meilleur rôle de Jim Carrey -, le cultissime “Cercle des poètes disparus” ou le trépidant “L’Année de tous les dangers”. C’est donc tout naturellement qu’il s’est attaqué à cette incroyable odyssée survenue pendant la guerre, deux années de marche, 6 000 kilomètres à travers la Sibérie, la Mongolie, la Chine, le Tibet. Le récit, “A marche forcée”, a été écrit par Slavomir Rawicz, un officier de l’armée polonaise arrêté en novembre 1939 par l’armée soviétique et condamné à vingt-cinq ans de bagne. Bien avant Soljenitsyne, Rawicz témoigne de l’enfer du goulag, par lequel sont passés près de vingt millions d’hommes, de 1935 à 1953, et dont il a réussi à s’échapper. A la parution du livre en 1956, le cinéma s’intéresse bien sûr à ce récit incroyable. La Warner achète les droits et contacte Laurence Olivier. Mais un début de controverse sur la véracité des faits (due à la description par Rawicz de deux yetis !) met fin aux velléités des producteurs. Un jeune acteur britannique, Jeremy Child, ne baisse pas les bras. « J’ai découvert le livre à 15 ans, raconte-t-il, j’en ai acheté les droits à 25 ans et j’ai passé les trente suivantes à essayer de monter le projet. » Jusqu’à ce qu’un jour, une lettre de la productrice Joni Levin le touche et le convainque de céder ses droits. « Je lui ai dit, explique-t-elle, que c’était un message d’espoir : sept personnes qui décident de mourir en hommes libres plutôt que de rester au goulag. » C’était il y a treize ans ! Le scénario écrit par Keith Clarke fait alors le tour des studios. « C’est ce qu’on appelle le development hell l’enfer de la préparation. »

Un récit de bravoure

C’est Colin Farrell qui débloque la situation. Contacté par un ancien colocataire, l’agent Jack Wigham, le comédien a un coup de foudre pour ce récit fondé sur l’espérance et la bravoure. Son enthousiasme donne aux producteurs le courage d’aller voir Peter Weir. Mais patatras, en pleine préparation, la BBC diffuse un documentaire sur le livre et apporte la preuve que Rawicz ne s’est pas échappé du goulag mais en aurait été libéré... Toute l’authenticité des faits est remise en question ! Keith Clarke enquête non-stop pendant quatre mois. Il s’immerge dans les archives des prisons soviétiques conservées au Hoover Institute, à Palo Alto. Il finit par retrouver, en Inde, deux hommes qui ont vu arriver quatre évadés polonais. « Ce qui est le plus vraisemblable, c’est que Rawicz a raconté une histoire qui est arrivée à l’un de ses compatriotes », avoue-t-il. Pour Peter Weir, ce qui est vraiment arrivé à Rawicz est un détail. « Ça me donne plus de liberté en tant que scénariste au niveau des faits et des personnages, explique le réalisateur. De toute façon, les goulags ont vraiment existé et je me suis rendu compte que beaucoup de gens, à commencer par moi, n’en connaissent que le nom. Il faut dire ce qui s’est passé là-bas. Des hommes et des femmes étaient arrêtés pour des raisons stupides et condamnés à vingt ans de bagne dans le froid sibérien. Un acteur a, par exemple, été interné parce qu’il jouait trop bien les aristocrates ! » Alors qu’il réécrit le scénario, Weir se nourrit de toutes les anecdotes historiques possibles. « Plus de dix mille Américains sont venus tenter leur chance en URSS pendant la Dépression pour trouver du travail, explique-t-il. Pour cela, ils ont abandonné leur nationalité et leurs droits. Sept mille ont disparu au goulag ! » Ed Harris interprète cet Américain mystérieux qui a survécu à l’enfer du goulag. Colin Farrell incarne, lui, un autre type de prisonnier : le urki russe, un bandit de droit commun. Supposément violeur ou assassin, le urki se comporte comme le “capo” du camp.

Situations criantes de vérité

C’est d’ailleurs dans un goulag reconstitué quasiment à taille réelle que tournent les acteurs. Il a fallu quatre mois de construction dans les Boyana Studios de Sofia, en Bulgarie, pour arriver à ce niveau de réalisme. Derrière les barbelés, des miradors, une tente en toile, des baraques sommaires en bois, des rondins éparpillés, de la neige artificielle au sol. « Peter Weir est un obsédé du détail, affirment ses collaborateurs. Il nous a constamment poussés dans notre recherche d’accessoires. Vous voyez les oignons qui pourrissent, c’est son idée. » Aujourd’hui, l’équipe tourne les derniers jours de fuite en URSS, juste avant de passer la frontière avec la Mongolie. Six hommes et une femme se cachent dans un ravin, à la lisière de la forêt, juste devant des champs à perte de vue. On se croirait dans une peinture hollandaise. Au loin, on aperçoit une voie ferrée. Le héros du film est interprété par Jim Sturgess (“Across the Universe”), qui, pour l’occasion, a pris l’accent polonais. « Mon coach m’a emmené en Pologne, à Cracovie, et m’a fait comprendre l’état d’esprit d’un officier polonais de l’époque. » Côté accent, Colin Farrell a, lui, adopté l’accent russe de son personnage, Valka, et même quelques mots de vocabulaire avec une facilité et une rapidité qui ont sidéré tout le monde. Son look aussi étonne : des tatouages sur tout le corps, et particulièrement un portrait de Staline sur le torse. Chez les évadés, l’homme est craint. Là, dans le ravin, alors qu’il faut attendre la nuit, éclate une dispute entre lui et un autre évadé. Hors plateau, le comédien continue à baragouiner en russe, fait quelques vannes aux techniciens bulgares et reste dans son coin. Cloué sur la chaise roulante que lui a imposé le médecin, Peter Weir scrute ses deux moniteurs. Il connaît tout des techniques de survie et a imposé un training spécial à ses acteurs. « Avec Cyril Delafosse-Guiramand, un explorateur français qui a retracé la route des évadés du goulag en quête de leur mémoire, raconte Jim Sturgess, nous avons marché dans la forêt, expérimenté des techniques de survie. Il nous a appris à fabriquer des choses avec ce qu’on trouve dans les bois. » La nuit est tombée. La température aussi. Les évadés, à peine couverts par leurs haillons et aux souliers rafistolés – par leurs soins ! – sont toujours terrés. Ils attendent le long des rails de chemin de fer. Un garde inspecte la voie à la lampe torche. Juste après, le train (un vrai) déboule. Des mains dépassent des ouvertures. Ce sont des prisonniers. Pour Peter Weir, chaque main a une histoire. « On m’a parlé d’une couturière faite prisonnière au goulag parce qu’elle avait épinglé son aiguille sur un coin du portrait de Staline, explique le réalisateur à son assistant. Ce soir, elle est dans le train. » L’équipe a du mal à cacher son émotion.

mercredi, juillet 14 2010

Les concerts de plein air

Comme une alternative aux terrasses du quartier Oberkampf, le Nouveau Casino reste ouvert et propose Colors Music Estival, soit une trentaine de concerts de début juillet à fin août. Pour l’occasion, le club est paré de stickers multicolores et la programmation suit. Musiques du monde, rock, pop, électro agrémentée à toutes les sauces, etc., tous les genres vont jalonner l’été. Il y a des découvertes à faire et quelques retrouvailles dont on se réjouit : Kill The Young, Chris Garneau, Jens Lekman, Smooth, Au Revoir Simone ou Little Barrie. A La Loge, les décibels de juillet iront rarement au-delà de la chanson, de la pop et du folk. Ce premier Summer Of Loge fait en grande partie écho à une nouvelle scène française qui n’a d’oreilles que pour les guitares acoustiques, les mélodies douces et les textes en anglais : Eliote & The Ritournelles, Lafayette Young, Lauter, Watine et Yeepee (entre autres). Certes, le 19 juillet, Albin de la Simone rempile au piano électrique en solo, soit trois jours après June & Jim et quatre avant Lilister : bien qu’en minorité, les chansons en français retentiront aussi à La Loge.

Les vendredi et samedi à partir du 23 juillet, avec le festival Fnac Indétendances, le parvis de l’Hôtel de Ville va vibrer aux sons des scènes françaises. Le panel va de la chanson à textes (dont Camille, Bazbaz et une carte blanche à JP Nataf) à l’électro (avec Chloé), en passant par le hip-hop (Rocé, Casey, Beat Assaillant, etc.) et le rock façon La Maison Tellier, Coming Soon, Boogers ou Gush. Le programme comprend aussi une soirée “spéciale Bretagne”, avec notamment Alan Stivell et Merzhin ! « Quatre escales à travers le monde et les arts », c’est ce que propose pendant quatre week-ends, du 16 juillet au 8 août, le festival Sin Fronteras au Cabaret Sauvage. Le premier arrêt est Cartagena et l’Amérique latine, puis l’événement pluridisciplinaire – musique, ateliers, contes, arts de la rue, bals – se pose à Bamako (Mali), à Sibiu en Transylvanie, et terminus à Marrakech (Maroc). Une occasion rêvée pour être transporté par la nueva cumbia, le rap’n’folk du Mali, le renouveau rock touareg, l’afrobeat, la musique tsigane, le groove des Balkans, le chaâbi ou la transe gnawa... tout en restant à Paris. Egalement très imprégné par les sonorités exotiques, le volet musique de Paris Quartier d’été (toutes les infos sur www.quartierdete.com) investit le Palais-Royal, l’Eglise Saint-Eustache, les Arènes de Montmartre et les parcs et jardins parisiens pour des rendez-vous du 14 juillet au 15 août. Enfin, parmi la dizaine de bonnes raisons de faire un tour à Rock en Seine avant la rentrée, on relève cinq concerts événements – Arcade Fire, Massive Attack, Queens Of The Stone Age, Cypress Hill et Blink 182 – et une séquence émotion : la reformation de Roxy Music, sans Brian Eno... mais, heureusement, avec Bryan Ferry ! Avant ces étoiles qui jouent dans la nuit, les fins d’après-midi vaudront aussi le coup d’oeil ; on songe à des phénomènes tels Beirut, LCD Soudsystem, Eels, Foals, Two Door Cinema Club, The Kooks, etc. Sur le papier, c’est alléchant.

Le souffle de la ville y rugit toute l’année. Dans le halo névralgique de guitares fureteuses. Dans le mouvement poétique de chorégraphies angéliques. Dans un maelström d’images sous influence... Le quartier de la Villette joue sans discontinuer la partition précise des états d’âme artistiques de la capitale. Le coeur généreux des mélomanes, des curieux rêvant d’ailleurs dociles et des amateurs d’expériences qui dérangent parfois mais élèvent toujours... Et de ce côté-ci de Paris, la période estivale est tout sauf une période de repos – forcé. A la Villette cet été, l’art fait ce qui lui plaît et s’accompagne même de cours de cuisine africaine pour bien commencer les journées. Du voyage à l’extase instantanée, on imagine déjà les concerts de Vieux Farka Touré (le 18 juillet), du Jaipur Maharaja Brass Band (le 1er août) ou de Rabih Ab Khalil (le 8 août) comme une promenade hallucinatoire dans les ruelles de Château Rouge, du Passage Brady ou de Belleville. Une carte blanche à Radio Nova le 22 août, avec notamment Bibi Tanga et ses Sélénites, viendra clôturer ces Scènes d’Eté. En attendant les premières flèches soniques du festival Jazz à la Villette à la rentrée...

Les Arènes de Montmartre accueillent la sixième édition d’un festival toujours très plaisant. Six concerts se tiennent sur la Butte, en plein air, au milieu des vieilles pierres. Le 20 juillet, il ouvre sur un groupe de superbes musiciens américains. Le saxophoniste Dave Liebman, qui a joué avec Chick Corea et Miles Davis, et incarne l’intensité du jazz contemporain, croise notamment le guitariste John Abercrombie, belle plume du label allemand ECM, et le pianiste Marc Copland. Le lendemain, c’est à une prestation solitaire et exceptionnelle (il ne se produit plus beaucoup en raison de son âge, 80 ans) de Martial Solal que les organisateurs invitent le public. Moderne, choquant, il a renouvelé le langage du piano avec dissonances, voire chaos, dès la fin des années 1950 (on lui doit la musique du célèbre premier film de Godard, A bout de souffle). La chanteuse Norma Winstone (le 22), le clarinettiste Thomas Savy (le 23), le batteur Christophe Marguet (le 24) constituent le reste des réjouissances qui se termineront, le 25, par trois animateurs du jazz d’avant-garde : l’inévitable clarinettiste Michel Portal, le saxophoniste Louis Sclavis et le batteur Daniel Humair. Pendant la durée du festival, entre 10 h et 13 h, les enfants des centres de loisirs pourront s’inscrire à des ateliers, sous la direction du percussionniste Arnaud Laprêt, et étudier le jazz, l’art de l’improvisation, et dessiner (leurs oeuvres seront remises aux spectateurs au début des concerts).

jeudi, juin 24 2010

Concerts : notre Top 3

Hot Chip LCD Soundsystem, The Juan MacLean, Holy Ghost!, etc., les sociétaires du label DFA Records sont au summum de leur forme, et Calvi on the Rocks peut se féliciter d’avoir épinglé à sa programmation le plus pop d’entre eux : Hot Chip. Du reste, ce ne sera pas la première fois que les Anglais poseront leurs séquenceurs au pied de la citadelle mais, cette fois, ils ont dans leur set de nombreux titres de One Life Stand, c’est à dire de leur meilleur album. Tandis qu’Alexis Taylor et Joe Goddard chantent de mieux en mieux, l’électro-pop du quintette a gagné en finesse... sans perdre de son pouvoir à remuer des publics éclectiques. Avec des morceaux rêveurs qui s’accorderont parfaitement avec le clair de lune et quelques torpilles power disco de nature à ébranler les quarante premiers rangs, Hot Chip est devenu la bête de grandes scènes que l’époque The Warning laissait déjà présager. A suivre de près.

Midnight Juggernauts Entre le club électro et la salle rock, le coeur de Midnight Juggernauts balance. Un premier album paru en 2007, Dystopia, nous avait mis sur la piste de ce jeune groupe australien auteur d’une électro-power-pop enthousiaste aux reflets new wave. Andrew Szekeres, Vincent Vendetta et Daniel Stricker, qui pondaient des singles, EP et remixes avec une apparente décontraction, ont vite été repérés par Kitsuné ; le label les a accueillis sur ses compilations Maison 4 et, plus récemment, Maison 8. Les Midnight Juggernauts aurait pu continuer sur leur lancée, et suivre la cadence de Hot Chip, Metronomy voire LCD Soundsystem, mais ces “indie-dancers” des antipodes ont fait une volte. Place à davantage d’expérimentations dans le processus de composition, moins de cloisonnement entre les genres : plus de liberté ! Résultat : The Crystal Axis visite davantage de galaxies, et l’auditeur passe d’une séance de groove hypnotique à un trip 70’s, d’un moment symphonique à un instantané pop. Cette nouvelle approche, que les Midnight Juggernauts considèrent comme étant ni plus ni moins une révolution, ne saurait néanmoins dépayser totalement les adeptes de Dystopia. Le trio a gardé son énergie intacte... et ses instruments de toujours : synthés old school, gadgets et effets. Très imprégné de science-fiction et de films d’horreurs des années 70, l’an II des Midnight Juggernauts a des allures de célébration rétrofuturiste. Concerts idoines ; vous êtes prévenus.

Revolver Avec un patronyme qui est un hommage à la mélodie – gloire à l’album des Beatles sorti en 1966 ! –, Revolver avoue aussi des influences plus anciennes : Jean-Sébastien Bach et la musique de la Renaissance sont souvent cités. De son côté, l’auditeur de musique indé trouvera des analogies entre cette “pop de chambre” électrifiée et Neil Young, les Beach Boys, Elliott Smith, Belle and Sebastian, voire les Tindersticks. On ne se lasse pas de leur premier album Music for a While, et de ses harmonies faites pour durer. Sur scène, Ambroise Willaume (chant, guitare), Jérémie Arcache (violoncelle et chant) et Christophe Musset (guitare et voix) ont pris la bonne habitude de donner une tournure plus électrique à leurs charmantes mélodies d’alcôve. Le concert du soir pourrait être aussi l’occasion d’apprécier quelques nouveaux diamants.

lundi, juin 14 2010

3e édition de Bienvenue à Moulins à Lille

La 3e édition de Bienvenue à Moulins se déroule les 26 et 27 juin dans le quartier de Moulins à Lille. Un week-end festif et solidaire entre expos, spectacles de rue, concerts et marché équitable.

Fête populaire de quartier, festival d’été avec des spectacles, la manifestation Bienvenue à Moulins est un hybride, comme peut l’être la Maison Folie de Moulins », explique son directeur Marius Moulin (son vrai nom !). « Pendant tout le dernier week-end de juin, il y aura des propositions artistiques pour tous les publics, enfants et adultes, ainsi que des restitutions d’ateliers. » Car la manifestation, initiée il y a trois ans par la Maison Folie de Moulins, est un travail collectif réalisé en collaboration avec une trentaine de structures culturelles, associations et collectifs du même quartier. « L’idée vise à réunir toute la diversité des habitants du quartier, car Moulins est un ancien quartier de l’industrie textile, aujourd’hui en pleine mutation, qui cherche une identité. » Le festival accueille aussi un public extérieur au quartier, qui vient pour la qualité des spectacles et profite de cet événement en extérieur dans un esprit populaire, festif et décontracté. Après une première édition gâchée par la pluie en 2008, Bienvenue à Moulins 2009 a trouvé sa place dans le calendrier des événements de début d’été, avec près de 3 000 participants sur un week-end.

Ciné barbecue et concerts punk rock

Dans une programmation riche d’une cinquantaine d’événements, il faudra particulièrement remarquer les expositions proposées à la Maison Folie, dont celle réalisée par le collectif Koan sur la mémoire du quartier de Moulins, « une proposition poétique, avec des éléments sonores ». Autre temps fort, Cultures Equitables, un village associatif et marché équitable proposés par l’association RIF. « Un espace de sensibilisation au commerce équitable et au développement durable », sur lequel se greffent les concerts de The Souljazz Orchestra (afro beat, afro jazz) et Stro Grass (country bluegrass). Côté spectacles, Le Prato invite la compagnie Circ’Hulon qui présentera Le Kiosque à Mézigue, une proposition d’art forain avec un trio musical, comique et poétique. Également conviée par Le Prato, la compagnie Rêvages jouera Le Petit Bodiel et autres contes. Un spectacle qui est le fruit d’une rencontre entre d’anciens élèves de l’école de théâtre Epsad et du conteur africain Hassane Kassi Kouyaté. Enfin, le samedi soir sera animé à L’Hybride avec un ciné barbecue qui réunira une programmation de courts métrages sélectionnés par l’équipe du Festival du Court de Clermont- Ferrand. Et les amateurs de sonorités rock peuvent toujours aller faire un tour du côté du café-concert Le Détour où il aura des concerts punk et hardcore organisés par l’association Give Us A Chance.

Comédie musicale Les Misérables

Difficile de chercher des poux à un spectacle d’un tel acabit : il détient à ce jour le record de la comédie musicale restée le plus longtemps à l’affiche sans interruption dans le monde. “Les Misérables” se sont joués dans 42 pays, dans 21 langues différentes, raflant au passage 75 récompenses (dont huit Tony Awards, ainsi qu’un Molière et une Victoire de la musique en 1992) pour un total de 56 millions de spectateurs depuis sa création à Londres en 1985. Si ça ne vous fait pas un succès planétaire, ça ! Mieux : “I Dreamed a Dream” (titre créé il y a trente ans pour Rose Laurens) fait désormais partie des hits musicaux depuis que Susan Boyle est devenue la star de l’émission “Britain’s Got Talent” grâce à son interprétation de la chanson culte du spectacle, vue par 100 millions d’internautes. Mais attention : l’adaptation en “musical” de l’oeuvre patrimoniale de Victor Hugo par Alain Boublil (texte et dramaturgie) et Claude-Michel Schönberg (livret et musique) n’a rien d’une vulgaire “cash machine”. Si ce dernier est le plus grand des vendeurs (on lui doit “Le Premier Pas”, l’un des plus gros tubes de 1974), c’est aussi un gentleman de la note et du son… longtemps boudé par ses pairs ! Petit rappel : créée par les deux complices en 1980 à Paris au Palais des Sports (dans une mise en scène de Robert Hossein), la comédie musicale fut applaudie par 500 000 spectateurs en trois mois. Las, l’aventure resta sans suite : « On n’entrait pas dans les formats des “musicals” de l’époque comme “Starmania” », explique Schönberg. S’ensuit une autre tentative à Mogador, tout aussi vaine. Sir Cameron Mackintosh, lui, ne s’y est pas trompé. Producteur investi (“Cats”), il propose aux deux compères d’emmener ce patrimoine de la littérature française vers le public anglosaxon. Et ça marche : Fantine, Cosette, Marius, Javert, les Thénardier et Jean Valjean créent le buzz en 1985 au Barbican Theatre ! Vingt-cinq ans plus tard, « Les Mis » (leur petit nom outre- Manche) reviennent enfin au Châtelet avec une production rutilante créée à Cardiff le 12 décembre dernier : morceaux réorchestrés, chansons traduites par Herbert Kretzmer, mise en scène liftée (Laurence Connor et James Powell), décors réagencés à partir des croquis de Victor Hugo lui-même. Restructuré en deux actes (au lieu de trois), le spectacle opère une heureuse alchimie entre la fresque politico-sociale du barbon barbu, les impératifs du grand spectacle et la nouvelle troupe anglaise (John Owen Jones, Earl Carpenter, Gareth Gates, Rosalind James, Madalena Alberto…) portée par la mise en scène trépidante de Trevor Nunn et John Caird. L’oeil aux aguets, l’oreille alertée, on se laisse entraîner par une poursuite dans les égouts de Paris ou sur les barricades sans se poser la moindre question. Les réponses sont fournies sur le plateau. La somptuosité musicale et la structure ambitieuse du projet vous tombent dessus, vous laissant le choix du roi : s’abandonner au plaisir.

Moi, moche et méchant

Après “Azur et Asmar” et “Chasseurs de dragons”, le studio parisien Mac Guff s’est vu confier la fabrication d’une grosse production américaine : “Moi, moche et méchant”. Produit par Christopher Meledandri, l’homme derrière “L’âge de glace”, ce dessin animé en 3D relief a pour héros un vilain pas beau.

Gru est un méchant dans la tradition des vilains de James Bond, du style de Goldfinger, précise l’Américain Chris Renaud, l’un des deux réalisateurs de Moi, moche et méchant. Là, on raconte sa vie de tous les jours. On voit toujours les méchants dans leur repaire, mais on ne sait jamais comment ils sont au quotidien face à leurs voisins, leur maman, des enfants. Comment ils réagissent quand ils doivent attendre dans une file d’attente pour une tasse de café. Gru a les mêmes problèmes que nous mais il ne fait pas comme nous parce qu’il a un rayon paralysant, un énorme SUV de l’enfer qui pousse toutes les autres voitures hors de son chemin, des armes, un antre souterrain... Il a et fait ce que beaucoup rêvent de faire. » Gru (de l’anglais “gruesome” qui signifie horrible) a la voix de Steve Carell (et celle de Gad Elmaleh en français). Il vit dans la seule maison noire et lugubre d’un quartier résidentiel coloré et fleuri. Comme tout méchant qui se respecte, il est épaulé par un savant fou, le docteur Nefario, 150 ans et dur de la feuille. Il a aussi une armée de minions, des petites bestioles jaunes et bagarreuses, au rire bête, et qui paniquent au moindre bruit. Les minions testent les équipements et les armes inventés par le savant fou susnommé. Gru a aussi une maman qu’il cherche à épater depuis son enfance mais qui lui mène la vie dure car elle n’est jamais satisfaite de ses méfaits. Elle ne le sera pas non plus du prochain mauvais coup qu’il prépare : voler la Lune. Rien que ça. Il a aussi un rival, Vector, vilain de son état. Il n’a pas l’air dangereux de prime abord, il aurait même plutôt une tête de gaffeur, mais plus l’intrigue avance et plus il devient redoutable. Gru et Vector se sont rencontrés à la Banque du mal. Cette banque finance tous les plans maléfiques des méchants. Gru était venu demander un prêt pour son projet. Quand il découvre que Vector possède le rayon rapetissant dont il a besoin pour ledit projet, il va tout faire pour s’en emparer. Mais la forteresse de Vector est impénétrable. La seule solution de Gru est d’adopter trois orphelines, qui vendent des cookies en faisant du porte-à-porte, et deles utiliser comme cheval de Troie. A sa grande surprise, Gru va s’attacher aux jeunes Margo, Edith et Agnes.

« Gru nous a donné beaucoup de soucis, révèle le Français Pierre Coffin, le second réalisateur du film. On a longuement débattu, et on en débat encore, pour qu’il soit méchant mais pas trop. On a commencé avec un personnage plus mauvais que ça et, au fur et à mesure, il est devenu plus grognon et infréquentable que réellement méchant. Ses seuls actes de méchanceté sont plus dans la vie quotidienne, comme de bousculer une grand-mère dans la rue. Il ne veut pas détruire la Terre. Quand il essaie d’être franchement méchant, il n’y arrive pas avec la classe qu’on attend d’un vrai vilain. » « C’est un perdant et il endure en plus les misères de Vector, poursuit Chris Renaud. On avait besoin de cet équilibre. Si on ne le montrait que méchant, on aurait eu des problèmes d’un point de vue marketing comme d’un point de vue attrait du personnage pour les spectateurs. On veut préserver cet aspect du vilain parce que c’est un concept intéressant. Au départ, il était l’affreux n° 1, froid et cruel, mais on avait l’impression de ne pas aller bien loin avec lui. En le transformant en perdant, en lui retirant un peu de sa méchanceté, on l’a rendu attachant. On lui a aussi ajouté une écharpe qui illumine un peu sa personnalité. On lui a donné un costume reconnaissable pour qu’il se détache du paysage. » « Ce n’était pas très aisé de créer un méchant sympathique, reprend Pierre Coffin. Après des essais de design, beaucoup de recherches graphiques et de manipulations 3D, on est arrivé à ce Gru-là." Pour être sûr que c’était le bon personnage, Pierre Coffin et Chris Renaud ont fait quelques tests d’animation faciale pour voir s’il pouvait être sympathique et vivant tout en étant suffisamment expressif. Ils ont d’ailleurs fait ça sur presque tous les personnages principaux. "On voulait se rassurer, être certains qu’on pouvait croire en eux, continue Pierre Coffin. On veut que les spectateurs oublient très vite la technique de la 3D pour s’intéresser aux personnages et à l’histoire. Tout est ainsi centré sur la personnalité. La fameuse “characterization” qui dit qu’un personnage n’existe pas s’il n’a pas d’âme. »

Deux cent quatre-vingt-dix personnes, réparties en quatorze départements, travaillent sur Moi, moche et méchant depuis plus de deux ans, dont cinquante animateurs qui sont autant d’acteurs. 90 % du film se font dans les studios parisiens de Mac Guff. Les 10 % restant, principalement du story-board mais aussi des éléments sonores et la musique, sont créés par des artistes en Angleterre, en Espagne, aux États-Unis et au Canada. « Plusieurs raisons ont fait que Mac Guff a été choisi pour fabriquer ce film, souligne Chris Renaud. Il y a d’abord cette richesse d’excellents talents en animation, à Paris. Il y a ensuite le talent de Mac Guff que l’on ne trouve nulle part ailleurs, que ce soit au niveau de l’animation, de la lumière ou encore du rendu. Il y a enfin le Français Pierre Coffin, un réalisateur d’animation bien connu. On savait que la collaboration entre Pierre et moi fonctionnerait. » Les deux hommes disent se compléter à merveille. La spécialité de Pierre Coffin est l’animation et la direction d’acteur. Celle de Chris Renaud est l’histoire et le story-board. « Quand j’ai appris que je devais coréaliser le film avec quelqu’un, je me suis dit qu’on n’arriverait jamais à s’entendre, se souvient Pierre Coffin. Comme dans un vieux couple, chacun aurait ses petites habitudes. Mais on s’est aperçu qu’on avait quasiment les mêmes goûts sur tout. » « On travaille ensemble sur la totalité : la lumière, le compositing, les mouvements de caméra, renchérit Chris Renaud. Et on prend toutes les décisions à deux. »

Outre le fait que Mac Guff n’avait jamais travaillé sur un tel projet (100 millions de fichiers à gérer), les difficultés ne changent pas des autres films en 3D relief. Tout ce qui est organique demande toujours une puissance de calcul énorme pour recréer une simulation de phénomènes qui sont compliqués. « La qualité et la compétence des équipes étaient déterminantes, avance Jacques Bled, cofondateur et P.-D.G. de Mac Guff. On savait qu’on pouvait relever le défi même si on s’est posé des questions quand Christopher Meledandri est venu nous confier son film. Avec ses succès au box-office, “L’âge de glace”, “Horton” ou “Robots”, il est l’homme qui vaut 7 milliards. » Travaillant avec Blue Sky et la 20th Century Fox, Christopher Meledandri a été débauché par Universal pour créer une structure de films familiaux. Moi, moche et méchant est le premier projet. Vu les succès passés, Meledandri et consorts sont attendus au tournant. « On était inquiets, reconnaît Jacques Bled. Mais on ne fait pas de la sous-traitance comme en Chine ou en Inde. On apporte une valorisation importante et des gens pour le layout, le design des personnages, la direction artistique. L’équipe est franco-américaine au niveau de la mise en place des choix artistiques. Et, au final, esthétiquement, on n’aura pas à rougir de notre travail par rapport à la production hollywoodienne que ce soit en termes de qualité d’animation, des rendus, des textures ou de la lumière. »

samedi, mai 15 2010

La comédie des grands boulevards

Faubourg-Montmartre, la nuit fait son spectacle. C’est ici que l’on déambule entre théâtres et passages Belle Epoque. Mais c’est Faubourg-Poissonnière, dans des ateliers sur cour et des hôtels particuliers, que l’on imagine l’architecture, les objets et les images de demain. Un rythme à deux temps, côté rues et coulisses, à vivre de jour comme de nuit.

La rue du Faubourg-Poissonnière, c’est l’histoire d’un privilège accordé par Saint Louis à la corporation des chasse-marée pour approvisionner Paris en poissons de mer, un chemin qui donna son nom au Faubourg. C’est également l’arrivée de l’aristocratie à la fin du XVIIIe siècle qui édifie des hôtels particuliers et l’installation rue Richer de l’hôtel des Menus-Plaisirs, l’administration royale de l’organisation des fêtes ! C’est enfin un quartier juif, populaire, avec ses peausseries, les cafés-concerts, les magasins de nouveautés non loin de là, pendant longtemps le siège de L’Huma... En fait l’incarnation de l’histoire de la capitale en son entier ! », explique François Besse, le directeur de Parigramme qui n’édite que des livres sur Paris ! Daniel Mesguich, le flamboyant directeur du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, vous parle de sa joie d’étudiant, lui le natif d’Alger, « d’arpenter et de connaître ainsi le vrai Paris ». Rien de très nouveau puisque Balzac écrit en 1843 : « Le coeur de Paris palpite entre la rue de la Chaussée-d’Antin et la rue du Faubourg- Montmartre. Une fois que vous avez mis le pied là, votre journée est perdue si vous êtes un homme de pensée. C’est un rêve d’or et d’une distraction invincible. » Dans les années 1930 déambulent sur cet héritage du baron Haussmann hommes-orchestres, montreurs d’ours, avaleurs de sabre et marchands de cravates ! Pour mémoire, les paroles des Grands Boulevards d’Yves Montand « J’aime flâner sur les grands boulevards, y a tant de choses, (...) à voir, on y voit des grands jours d’espoir, des jours de colère, qui font sortir le populaire. Là vibre le coeur de Paris, toujours ardent, parfois frondeur, avec ses chants, ses cris. » Si les avaleurs de sabres ont laissé place aux boutiques de portables, à la tombée de la nuit, s’illumine toujours une inégalable concentration de théâtres, des Variétés au Palace, des Nouveautés aux Folies Bergère qui font flotter entre les rues du Faubourg-Poissonnière et Faubourg- Montmartre leurs souvenirs-fantômes aux allures d’icônes. La Belle Hélène d’Offenbach monté par le maître lui-même aux Variétés, qui a vu défiler devant ses dorures et fauteuils de velours cramoisi Arletty, Raimu ou Fernandel dans le meilleur du théâtre de boulevard. La Belle Otero, Mistinguett et Joséphine Baker hantent encore les boudoirs des Folies Bergère, petit temple Art déco, décor des romans Bel Ami et Nana, autrefois réputé pour ses spectacles osés pour l’époque... Aujourd’hui, Zorro !

Le temple du théâtre de boulevard

« Les habitants se sentent parfois spectateurs de leur propre quartier », nous confie le rabbin Jonas. Il prend, en soirée, le visage du touriste bon enfant, qui visite le musée Grévin, commande un boeuf bourguignon chez Chartier et va ensuite voir un spectacle ! Chartier, l’institution populaire, autrefois repaire des ouvriers, puis des journalistes au temps où Figaro, Equipe et France-Soir logeaient à quelques pas. Seul le Rex semble, avec sa voûte étoilée, ses décors de carton-pâte et sa façade Art déco, avoir gardé sa place de cinéma fétiche dans le coeur des indigènes. Comme le rappelle Caroline Flé, l’architecte de la pâtisserie enfantine Bogato, c’est au Limonaire, le bistrot à vins et à chansons de la rue Bergère, qu’ils aiment découvrir de nouveaux artistes. Et si les créatifs d’H5, le studio de graphisme de la French Touch, privilégient un dîner au restaurant à vins Racines, passage des Panoramas, ils font aussi quelques infidélités en fréquentant Le Martel ou Chez Jeannette de l’autre côté du Faubourg Poissonnière. « Pas tout à fait une infidélité, son trottoir de droite appartient déjà au Xe arrondissement », s’amuse la consultante en design Colette Bel, qui n’imagine pas habiter ailleurs que dans ce « quartier central, où se mixent toutes les populations, ni précieux, ni apprêté, où l’on peut être simplement soi ». Pour la cinéaste Lou Genet, ce sont les passages couverts qui excitent le plus son imagination, avec leurs entresols, trompe-l’oeil et commerces désuets, d’où émane un sentiment mystérieux, très Palais-Royal. Comme la terre tourne autour du soleil, l’activité se déplace au fil de la lumière entre les Faubourgs Poissonnière et Montmartre. Très animé la journée, le premier s’éteint à la tombée de la nuit lorsque s’allume le second. La pratique du shabbat n’y est pas étrangère. Originellement terre des juifs alsaciens, le quartier concentre synagogues et commerces casher.

Faubourg-Poissonnière, ruche créative

Les anciens ateliers de peau, de fourrure, de bijoux ont laissé place à des regroupements de créatifs en tout genre, de la production télé et cinéma (côté Hauteville) aux architectes, designers et graphistes (Faubourg- Poissonnière). Dominique Jakob du cabinet Jakob+MacFarlane qui réalise les Docks de Paris explique cette migration progressive par la taille des espaces des anciens ateliers et les prix accessibles. « Le patrimoine est peu restauré, pas transformé non plus, ce qui vous permet, lorsque vous cherchez des locaux, de tomber sur des hôtels particuliers avec dix mètres sous plafond qui ont conservé leurs fresques, une splendeur ! » Une “boboïsation” du quartier qui a entraîné le développement des offres “vertes”, de 5 Fruits et Légumes, petite cantine bio, à l’atelier culinaire Fraîch’attitude, qui propose des ateliers chromatiques à la Sophie Calle. Mais les drogueries et les épiceries arméniennes ont subsisté ! Les créatrices de la jeune et dynamique galerie Sycomore qui représente des artistes brésiliens expliquent que ce vivier de créatifs a stimulé leur arrivée dans ce quartier plutôt désert le soir et qu’elles espèrent bien les avoir comme clients un jour ! On peut aussi passer de la production à... la cuisine comme ces quatre copains oeuvrant dans les médias, qui ont fondé Les Fils à Maman, un restaurant familial dans une petite impasse! Anne-Claude Dessart, bras droit de Jean-Michel Wilmotte, souligne l’effet “îlot” du quartier : les grands boulevards embouteillés jusqu’à quatre heures du mat’ le samedi, la culture juive de la rue Richer, la charmante Cité Trévise, très anglaise autour de sa fontaine des Grâces, le Faubourg- Poissonnière qui louche déjà beaucoup vers le Xe... « Dans ce quartier, on change totalement d’univers en une rue ! », précise-t-elle.

A chaque rue son univers

Et le dépaysement est au coin de la rue : l’incroyable décor du showroom de la créatrice Anne Valérie Hash, boulevard Poissonnière, qui a abrité synagogue et maison close, le siège de BNP Paribas Immobilier et Cetelem installé dans les fresques en mosaïque de l’ancien Comptoir national d’escompte, réhabilité par le cabinet d’architecture Anthony Béchu, l’hôtel Bony, sorte de délire palladien façon Empire qui abrite une société de communication. On comprend que ce quartier inspire les cinéastes. « C’est un personnage de mon film à part entière », raconte Steve Suissa, réalisateur du polar Mensch sorti en décembre, qui a souhaité que ses acteurs y séjournent auparavant ! Rumeur du Daily Neuvième, le petit journal web du IXe, serait prévu l’an prochain le tournage d’un Bel Ami avec Uma Thurman. L’atelier de costumes Caraco Canezou, installé rue Saulnier, y est donc parfaitement à sa place. S’en sont échappés les costumes futuristes de l’opéra Perelà, les habits d’Emma de Caunes dans le film Le Scaphandre et le Papillon ou d’Anna Mouglalis dans Coco et Igor, de la pure haute couture comme cette merveilleuse jupe froufroutante comme une traîne... Dans les étages, des doigts agiles cousent sans relâche pour le spectacle, en bas, une petite cantine très guinguette bobo pour les employées de la maison, un modeste et précieux symbole à la fois, des deux visages de ce IXe arrondissement.

La Fausse suivante de Marivaux

Revoici Lambert Wilson, metteur en scène d’une pièce dont on ne se lasse pas tant y flamboie la langue, ciselée comme une dague. Autant le savoir tout de suite : avec ce Marivaux-là, on ne nage pas en pleine bluette au lait de coco. Ce qui fournit la trame de cette oeuvre féroce ? L’argent, le fric, l’oseille, l’artiche ! La toute-puissance de l’argent sur les émois du coeur y est finement flétrie, mais ce n’est pas tout : dans les eaux troubles de l’affect, au creux des rivalités amoureuses, l’oeuvre pointe également la bisexualité des êtres et les premières revendications de valets roués à travers la figure frondeuse de Trivelin (Francis Leplay), entouré de ses collègues Arlequin et Frontin (Eric Guérin, Pierre Laplace). Or donc, une jeune fille richement dotée (Anne Brochet, rusée et ambiguë) se travestit en garçon – chez Marivaux comme chez Shakespeare, chacun découvre sa propre vérité dans le travestissement– pour aller voir de plus près Lélio (Fabrice Michel), le prétendant choisi d’autorité par son beaufrère. Les masques tombent vite : son promis n’est pas un amoureux mais un petit gestionnaire prudent. Pire : un fieffé goujat prêt à la planter pour une accorte comtesse plus argentée (Christine Brücher, délicate et douloureuse). La suite ? Ben, on ne peut pas vous dire, sinon vous nous en voudriez terriblement de gâcher un suspense qui prend le temps de faire exister les personnages. Soin visible apporté à la lumière et aux décors (de longs pans de dentelle nervurés de feuilles), rythme enlevé et dialogues décalés déployant mille chaussetrapes et trompe-l’oeil : Lambert Wilson adapte l’oeuvre avec une belle élégance mâtinée de dérision. Alors, c’est vrai, on peut trouver à redire aux divertissements (hommage évident aux musicals hollywoodiens) chantés et dansés et aux chorégraphies qui vous ont ici un petit air foutraque digne d’un club de vacances discount, mais cela n’entame pas le charme acidulé de cette succulente dragée au poivre. Marivaux est plus que jamais en activité invisible dans le tourbillon de l’époque.

lundi, mai 3 2010

Rufus Wainwright

Le grand public murmure à peine son nom. Aux yeux de ses pairs comme Elton John, Rufus Wainwright est pourtant un héros. Son nouvel album, “All Days Are Nights : Songs for Lulu”, lui fera-t-il grimper une nouvelle marche vers la gloire ?

on entend souvent, ces jours-ci, que le salut de l’industrie musicale viendra des paris les plus fous. Et qui le dit ? Ceux pour qui la musique n’est pas du commerce, bien sûr. Rufus Wainwright, par exemple. Al’heure où cartonne Lady Gaga, il sort un album entièrement piano-voix, « le contraire de ce que propose le monde pop ». Une démarche qui n’étonne pas vraiment. Le père de Rufus est Loudon Wainwright III, une étoile de la chanson folk nord-américaine. « Je crois que j’ai été influencé par son côté féroce sur scène, c’est une bête. Par son humour, aussi. » C’est vrai que sur scène, Rufus a l’art de la vanne. Très drôle, le garçon, si l’on aime l’ironie, beaucoup d’auto-dérision, et une extravagance assumée, un peu comme son homosexualité. En influence encore plus majeure, il y a sa mère aussi. « Elle mettait une poésie immense dans tout ce qu’elle faisait, parfois, c’était même trop, elle était tellement sensible à tout. » Sa mère, c’était Kate McGarrigle (décédée en janvier dernier), qui avec sa soeur Anna a envoûté les seventies américaines, à la guitare, au piano et à coups de duos vocaux et cristallins. La soeur de Rufus, Martha Wainwright, mène également une carrière musicale et a beaucoup accompagné son frangin au début. Donc, pour Rufus, il n’y a jamais eu « de frontière entre le salon et la scène ». La famille s’est d’ailleurs souvent produite ensemble, et est présente dans de nombreuses chansons du jeune homme, qui compose déjà tout gamin et se fait vite remarquer. Son premier album sort en 1998, alors qu’il a 24 ans. On y trouve déjà presque toutes ses influences : le folk natal, mais aussi une pop aiguisée, et quelques arrangements d’où suinte un amour inconditionnel du classique, opéra en tête. Un certain romantisme. Et une voix de ténor pop assez unique, qui allie un vibrato quasi lyrique et une nonchalance adolescente.

Quand on lui demande qui est la Lulu du dernier album, Rufus répond qu’elle est son âme noire et damnée, celle qui le fit verser, avant l’âge de 30 ans, dans l’usage immodéré des drogues, celle qui lui inspira son deuxième album, “Poses” (2001), celle « que j’invoque souvent pour composer mes chansons, qui me tente. » Mais dont il sait, dorénavant, se protéger. Au profit, semble-t-il de la diva en lui. « J’ai cru, à l’époque des drogues, que j’étais une espèce de femme fatale, qui peut tuer par sa beauté. Finalement, j’étais seulement en train de me faire du mal. » Est-ce pour exorciser ladite fatale qu’il part en 2007 à la conquête du monde, avec un récital entier de Judy Garland, feu l’héroïne du “Magicien d’Oz” ? Eclatent alors l’extravagance du personnage, et le reste de ses évidentes influences : la comédie musicale, le cabaret. Exit la nostalgie, voici une ardente démesure dans un costume doré signé Castelbajac. Rufus se donne, fort de l’amour d’un vrai public de fans. Et, outre sa filiation favorable, de collaborations artistiques qui forcent le respect. « C’est comme si les gens du métier avaient très vite identifié ma valeur ajoutée, comme s’ils avaient décidé de protéger ma musique, menacée parce qu’elle n’essaie pas d’être dans l’air du temps. J’ai eu de la chance. ». Le sollicitent donc Elton John, Burt Bacharach, grand compositeur pop, Neil Tennant des Pet Shop Boys, qui finira par lui produire un album, le metteur en scène Bob Wilson, pour lequel Rufus met en musique, en 2009, des sonnets de Shakespeare, dont trois sont présents sur le dernier album… Il y a aussi les chansons composées ou reprises spécialement pour des films comme “Aviator” de Scorsese, “Brokeback Mountain” ou “Shrek”. Et “Moulin Rouge !” qui souligne, avec sa reprise de “La Complainte de la Butte”, la francophonie de cet artiste à moitié canadien, ainsi que son amour pour Edith Piaf et consorts. Avec tout ça, il sait ce qu’il vaut, le petit gars. Ne cache pas son ambition, surtout en Amérique, où exploser est « un peu le rêve de tout artiste », estime-t-il. Mais il se réjouit de « pouvoir marcher tranquille dans la rue ». Et n’hésite pas à invoquer, comme modèles, Verdi ou Victor Hugo. « Je ne me compare pas à eux, mais j’aspire au flot de créativité de ces gens qui produisent sans discontinuer toute leur vie. » On ne peut pas lui retirer ça, d’ailleurs : Rufus compose des chansons comme il respire. Et puis, allez, il finit par admettre un cheveu de mégalomanie. « J’essaie d’être comme eux, c’est vrai. Pourquoi pas ? »

Alors, sans peur et sans trop de reproches, Rufus Wainwright a composé, en 2008, un opéra, “Prima Donna”, déjà programmé avec succès dans de grandes salles, et dont l’aria finale figure sur l’album. « J’ai vraiment pénétré l’univers du classique, pas comme une simple collaboration. Ça a été passionnant, mais aussi une vraie souffrance, c’est un monde très dur. C’est seulement en entendant l’orchestre jouer mes arias que je me suis dit que ça en valait la peine. Du coup, pour le prochain album, je veux faire une sorte d’explosion pop, qui déferle sur le monde… » En attendant, l’opéra consolide sa reconnaissance, déjà accrue par le succès de son précédent album, “Release the Stars” (2007). “All Days Are Nights : Songs for Lulu”, son sixième album, est lié à la maladie et au décès de sa mère, si influente, bienveillante. « J’ai commencé à écrire l’album à peu près au moment où on a diagnostiqué son cancer, il y a quatre ans. J’ai tout terminé trois semaines avant sa mort. » Si ce décès « n’est pas le thème de l’album », il est un peu celui de ses concerts actuels, « avec un oeil qui pleure sur un écran géant (du vidéaste Douglas Gordon, ndlr), avec des plumes, des capes. Je chanterai toutes les chansons d’une traite, sans applaudissements, pour qu’on puisse s’immerger dans la musique ». Il y aura alors peut-être moins d’invités surprise que d’habitude. Martha, quand même, la soeur folk, de temps en temps. Et une seconde partie de soirée habitée par le si riche répertoire du chanteur. Un recueillement d’abord, puis sans doute une fête. Et pour tous ceux qui le connaissent encore peu, un bel endroit pour une rencontre.

lundi, avril 19 2010

Houses of live

Alternative cool et chaleureuse aux salles bondées et aux prestations live prévisibles, les concerts en appartements font de plus en plus d’émules chez les artistes et auprès du public. Idée géniale pour passer une agréable soirée entre amis et amateurs de sensations musicales fortes ? Oui, et plutôt quatre fois qu’une...

Parce que l’ambiance est plus électrique tout en restant conviviale. Les concerts en appartement, en tout petit comité et à la bonne franquette (vin, saucisson, discussions avec des inconnus passionnés de musique), voilà qui vous met tout de suite dans de bonnes dispositions pour partager un moment d’émotion. « Ça me fait penser aux soirées d’antan, autour de la cheminée. Vous savez, ces salons, au XVIIIe, où chacun lisait des poèmes… Avec cependant un aspect plus débridé, plus sauvage… Les gens se lâchent parce qu’ils ont conscience d’être partie prenante de l’événement », nous confie Nobuko Matsumiya, musicienne japonaise installée à Paris et organisatrice assidue de concerts à la maison (environ trois sessions par mois) qui, à travers ces évènements culturels libres et spontanés, redécouvre les vertus de l’hospitalité. Mais le véritable point fort de ces concerts, c’est l’enthousiasme contagieux qui régit les rapports entre le public et les artistes. « Le premier concert était une vraie expérience pour nous et pour les hôtes. On a compris après dix minutes que ça allait être génial. On est tombés chez Hedwige, une fille super sympa, qui nous a bien accueillis et qui a fait une belle vidéo de la soirée. C’était la liesse ; les gens hurlaient et chantaient, appelaient leurs potes au téléphone pour leur dire de rappliquer fissa », raconte Nicolas du groupe belge Eté 67. Habituée des concerts en appartement depuis 2007, la formation rock-pop basée dans les environs de Liège sortira en septembre prochain son deuxième album “Passer la frontière”, condensé de ses expériences riches en sensations fortes et rencontres marquantes. Parce que la formule donne une nouvelle dimension à la musique Pour les Parisiens d’Exsonvaldes, champions français toutes catégories des live en appartement, l’expérience a totalement modifié et magnifié leur rapport à leurs propres compositions. « Pour la promotion de Near the Edge of Something Beautiful, notre deuxième album, nous avions besoin d’être capables de jouer certains de nos titres en acoustique – pour des sessions radio, TV, internet, etc. L’idée de faire du guitare/voix nous frustrait car nous sommes habitués à travailler en groupe. Nous avons donc décidé de réarranger notre répertoire jusqu’à être capables de reproduire l’énergie de quelques morceaux dans une formule à quatre, avec basse et batterie, mais sans aucun micro », explique Simon, le leader du groupe. Du coup, les chansons rayonnent d’un dépouillement confinant à la pureté mélodique d’un sonnet, laissent filtrer une palette sonore et émotionnelle qui, débarrassée des artifices (amplification, effets), va à l’essentiel. A leurs débuts en 2002, bien avant qu’ils ne deviennent des superstars rompues aux énormes stades, les Américains de The Killers ont visité tous les squats et salons de fortune des environs de Las Vegas. Ces expériences hors du commun ont profondément influé sur leur manière de composer, révélait le chanteur Brandon Flowers dans les colonnes du site internet The Fader : « Jouer devant un public restreint dans un environnement naturel vous donne une idée très précise de la manière dont le public réagit et ressent vos chansons. On était étonné de voir que les gens étaient beaucoup plus réceptifs lorsque nous jouions des titres qui reposaient sur une formule musicale simple, avec voix et guitares claires. Depuis, toutes nos chansons sont d’abord écrites en version acoustique avant d’être finalisées en studio. » Parce que la barrière entre l’artiste et son public tombe définitivement. Faire tomber les barrières inhérentes à un concert public, prendre le temps d’expliquer sa démarche artistique, communiquer, échanger, sans oublier le principal : la proximité de l’artiste avec son public, sans les artifices d’une grande scène, modifie totalement les rapports. En concert d’appartement, les émotions de l’artiste sont aisément perceptibles par le public et inversement, et finalement la musique ne peut qu’y gagner. Simon : « C’est évidemment plus facile de communiquer lors d’un concert en appartement. Souvent, le public réagit de manière plus intense encore qu’à un concert “normal”. Il se rend compte qu’il partage quelque chose de fort et d’unique avec nous. Il est attentif à tous les détails. Il n’y a pas la barrière psychologique de la scène, des lumières. Le contact avec le public est direct, on peut regarder tout le monde dans les yeux. Il y a aussi un effet de surprise pour les gens, qui assistent souvent à leur premier concert en appartement. » Parce que les concerts en appartement apportent aux artistes un éclairage nouveau sur leur musique et sur leur art. Nombre de musiciens abonnés aux concerts en appartement vous diront que ces expériences les ont amenés à envisager leur musique sous un éclairage neuf. Parce que la combinaison entre instrumentation acoustique, rapports directs avec le public et facilité à enchaîner les dates ouvre forcément les yeux sur l’écart incroyable de perception entre le fantasme de la vie d’artiste et les réalités souvent décevantes du music-business. « C’est un vrai retour à l’essentiel. Juste une libre expression de ce que la musique peut procurer, sans artifices ou intermédiaires. Si on arrive à créer une atmosphère de concert dans ces conditions-là, c’est encore plus facile quand on retourne sur scène après. C’est l’essence même de la prestation artistique pour moi. Au début, il n’y a rien et en fin de soirée, le lieu s’est transformé en quelque chose de magique, un endroit où les gens communient dans la musique et la curiosité », confirme Nicolas d’Eté 67. Une autre forme de partage qui se rapproche plus du troc. Une démarche universelle comparable à celles des poètes itinérants, des troubadours, ou des bluesmen pendant la Grande Dépression. Les concerts en appartement ont visiblement déjà modifié notre perception du monde en profondeur…

Les Promesses, la pologne après-guerre

A travers 160 oeuvres, l’exposition Les Promesses du passé présentée au Centre Pompidou explore la création artistique de l’ex-Europe de l’Est depuis l’après-guerre. Révolution du regard en perspective. Varsovie, Pologne, fin février 2010. Un espace immaculé à l’agencement minimaliste. C’est peu dire que l’atelier de Monika Sosnowska, 38 ans, dessiné par ses soins, tranche avec les immeubles délabrés de Praga, quartier ouvrier situé à l’opposé de la vieille ville, sur l’autre rive de la Vistule. Une banlieue grise, réputée malfamée, devenue le dernier lieu à la mode depuis que des artistes ont commencé à y reconvertir bâtiments désaffectés et vastes friches industrielles. Ici, l’ancienne étudiante aux Beaux- Arts de Poznan conçoit ses installations, désormais exposées dans le monde entier. Pour l’heure, l’artiste explique dans un anglais parfait le long processus d’élaboration de la scénographie qu’elle a réalisée pour l’exposition de Beaubourg, Les Promesses du passé, qui revisite plus de soixante ans d’art dans les pays de l’Est. Une scénographie labyrinthique, écrin symbolique, fait d’allers-retours, à l’image du flash-back sur cette production artistique et des efforts entrepris pour mener à bien cette manifestation – au total, trois années de recherches et de voyages. Depuis la chute du Mur, deux décennies ont passé. Autant dire une éternité. A l’heure de l’Europe réunie et de la prise de conscience de l’importance de la diversité culturelle dans un monde globalisé, il était temps de lever le rideau (de fer) sur la création dans les arts visuels à l’Est. Une histoire enfouie, des artistes oubliés, que la nouvelle génération – celle de Monika Sosnowska, Mircea Cantor ou Pawel Althamer, pour ne citer qu’eux – a aidés à redécouvrir. Avec, en filigrane, la question inévitable des relations entre l’art et le pouvoir. Et, à la clef, un discours qui bat en brèche ce que l’on croit savoir de l’Europe de l’Est et de ses artistes. Quelle était leur marge de manoeuvre face aux pressions politiques ? Apportant un élément de réponse, l’exposition met en exergue des destins individuels pris dans le maelström d’une idéologie collectiviste, dont la mise en pratique eut des conséquences à géométrie variable selon les pays et les périodes. Des trajectoires où l’engagement ne prend pas toujours les formes auxquelles on pourrait s’attendre. Loin s’en faut. Dans le système communiste, chaque exposition devait passer sous les fourches Caudines de la censure du Parti. Laissant une plus grande liberté d’action, l’art conceptuel commença en Pologne dans les années 1960, avant de se développer rapidement car il ne nécessitait aucune structure particulière : nul besoin de demander une autorisation pour réaliser un happening dans un appartement privé. « Dans les années 1970, de nombreux artistes se sont mis à produire ce type d’oeuvres de manière confidentielle. Ils réalisèrent qu’ils n’avaient besoin de rien pour développer des idées », explique Anda Rottenberg, historienne d’art et ancienne directrice de la galerie Zacheta à Varsovie. Quant au pouvoir en place, il les considérait comme inoffensifs. Un exemple qui vaut pour le cas polonais. Le joug de la censure put se montrer en revanche implacable dans d’autres pays du Bloc. Des artistes se retrouvèrent derrière les barreaux, tel Tibor Hajas, sorte de Pasolini hongrois. Voire contraints à l’exil, à l’instar de Tamas Szentjoby, dont la devise était, il est vrai : « Tout ce qui est interdit est art. Soyez interdits ! »

Protéger l’autonomie de l’art par rapport au politique

"Sous un régime dictatorial, les gens sont obligés de se replier dans l’espace privé, faute de pouvoir s’exprimer dans l’espace public, analyse Christine Macel, chef du service création contemporaine et prospective au Centre Pompidou, co-commissaire de l’exposition. Ecarter les bras dans la rue, par exemple, prenait alors une dimension politique importante. " Pour autant, l’idée que nous nous faisons de l’usage de la liberté d’expression à l’époque soviétique apparaît le plus souvent erronée. « Très peu d’artistes de l’Est ont fait de l’art politique, au sens activiste du terme, reprend Christine Macel. Pas plus qu’ils n’ont été dissidents. » De fait, tous ceux qui s’occupaient notamment de performance ou de cinéma expérimental ont surtout eu tendance à protéger la sphère d’autonomie de l’art du champ politique et de la domination totalitaire, plutôt qu’à l’utiliser comme un moyen. Les échanges avec l’Ouest furent en outre beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine. Certains artistes se rendaient à Paris, New York ou à Londres, là où “ça” bougeait. Reste que les difficultés d’obtention du passeport, sésame indispensable, ont constitué pour beaucoup un réel obstacle à la reconnaissance hors des frontières de leur pays. Jusque dans les années 1990, la question se révélait aussi économique. Avec des fortunes critiques directement liées à la visibilité et à la présence sur le marché international de l’art, bien avant la libéralisation. Est-ce un hasard si les artistes les plus connus sur la scène internationale sont également ceux qui ont eu les moyens d’aller à l’étranger ? Heureux qui, communiste, a fait un beau voyage... Dernière idée reçue : l’Europe de l’Est ne ferait qu’une. « C’est un concept politique qui date de la guerre froide et ne recouvre aucune réalité artistique », constate Christine Macel. A ses yeux, ni plus ni moins qu’une manière de classer les choses a priori, relevant d’une idéologie occidentale encline à uniformiser. Et d’ajouter : « Il n’y a pas plus un art de l’Europe de l’Est qu’un art polonais, roumain, slovène, tchèque, hongrois... Il y a des artistes, avec leur identité propre, et éventuellement des mouvements qui les rassemblent à un moment donné. » Une histoire définitivement polyphonique, dépassant la question de la nationalité. Subsiste une ultime question à la vue de ces oeuvres : ce qui a été un moment pris dans un état de suspension historique, entre la construction du Mur et sa chute, peut-il être réactivé a posteriori ? Une interrogation que développent aujourd’hui beaucoup d’artistes et d’intellectuels à travers l’héritage du communisme, moins un revival marxiste qu’une critique du consumérisme, une réflexion sur la mémoire et le vivre ensemble. La redécouverte de ces promesses du passé se révèle de ce point de vue essentielle si l’on veut à l’avenir pouvoir écrire une autre histoire de l’art que celle à laquelle l’Occident est habitué. En intégrant, cette fois, la partie Est de l’ancienne Europe au sein de la nouvelle. Faire en sorte que ces promesses soient tenues, en somme.

mercredi, avril 14 2010

Mouloud Achour dans un film

Du “Grand Journal” au grand écran – voire au très grand écran –, il n’y a qu’un pas que Mouloud Achour a franchi comme un géant. Chroniqueur sur Canal+, on le retrouve en ce moment à l’affiche du “Choc des Titans”, entouré de monstres mythologiques. Un bon bond dans le “tout Hollywood”, qu’il nous raconte avec bonhomie.

Comment vous êtes-vous retrouvé dans “Le Choc des Titans” ? Mouloud Achour : J’avais rencontré le réalisateur Louis Leterrier à New York, il venait alors de terminer “Danny the Dog”. On est restés en contact, et il m’a demandé un peu plus tard de venir faire une petite apparition dans “Hulk”. Et il se trouve que je me suis endormi sur le tournage ! Je venais de faire “La Matinale” sur Canal+, et quand je suis arrivé à Toronto, j’étais explosé. Je me suis donc endormi au maquillage. Et pendant ce temps-là, il y avait Edward Norton qui me faisait des oreilles de lapin (rires). Après, quand Louis s’est mis à préparer “Le Choc des Titans”, il m’a dit qu’il avait un rôle qui pouvait me correspondre, mais qu’il y avait une trentaine de personnes pressenties. J’ai donc tourné une vidéo avec le type qui allait jouer mon frère, et les gens de la Warner m’ont validé.

Vous auriez pu refuser ? Oh ben non ! C’est pas possible ! On te dit : « Voilà, tu vas tourner pendant trois mois avec toute une bande de comédiens dont tu es hyper fan. » Un truc pareil, ça ne se refuse pas !

Comment a réagi votre entourage quand vous lui avez appris la nouvelle ? Je ne l’ai pas dit à tout le monde. C’était trop énorme, je n’arrivais pas à l’expliquer. Je ne l’ai dit qu’à ma famille et à Michel Denisot, car il fallait que je quitte “Le Grand Journal” pour tourner le film.

Ça fait quoi de se faire bananer par un scorpion géant ? On a mis deux ou trois semaines à faire cette scène, car il y a pas mal d’effets spéciaux dessus. On m’a attaché avec un câble, on m’a jeté, il y a eu des explosions, et quand j’ai vu la scène terminée, j’étais hyper content. C’est le genre de choses que j’adorais voir au cinéma quand j’étais petit. Et le fait d’avoir tourné une scène de ce genre, c’est juste fabuleux. Vraiment, j’hallucine de me voir dans une scène comme ça, avec un scorpion qui coûte le prix d’un film français.

Quelle a été la chose la plus difficile à faire sur ce film ? De rentrer à Paris. (rires)

Et porter une jupe, c’est difficile ? Mais je ne porte pas de jupe dans le film ! Ceci dit, j’en mets souvent, et je n’ai pas de problème avec ça. (rires)

Et Zeus – joué par Liam Neeson –, il est sympa en vrai ? Je ne l’ai pas rencontré. Ce qui est drôle, c’est qu’il y a plein d’acteurs du film que je n’ai rencontrés qu’à l’avant-première. Et puis, je jouais un soldat de Persée censé aller péter la gueule aux dieux, donc on n’allait pas se fréquenter sur le tournage.

Qu’est-ce que ça fait de se voir en 3D ? C’est juste hallucinant. J’étais déjà en 3D dans la vie, mais Louis Leterrier me disait : « Tu te rends compte, tu es le premier Français dans un film en 3D ! »

Vous avez essayé de toucher l’écran ? Non, c’est comme avec les films normaux, on a plutôt envie de faire ça avec la fille assise dans le fauteuil à côté. (rires)

Qu’est-ce que ça fait de devenir une star d’Hollywood du jour au lendemain ?

Je ne suis pas une star d’Hollywood. Ni une star tout court. Même en France. Donc, je prends ça comme un truc d’enfant. Pour la promo à Los Angeles, j’allais à la plage avec Louis, ou dans les boutiques de comics, et après on se retrouvait à table avec des gens hyper importants du cinéma… Mais je sais que ma vie est à Paris, au “Grand Journal”, avec ma petite bande. Donc je ne me pose pas la question, et je sais que là, ce n’est que du bonus.

Et qu’est-ce que ça fait d’être le héros d’un jeu vidéo ? Ça aussi, c’est incroyable ! Se retrouver dans un jeu vidéo, je pensais que c’était un honneur qui était réservé aux joueurs de foot ou aux mecs qui étaient nés sur Krypton, quoi ! Le jeu vidéo, c’était vraiment la cerise sur le gâteau.

Est-ce que votre vie a changé avec cette aventure ? Non, si ce n’est que maintenant je prends ce métier très au sérieux. Je ne fais pas de la télévision pour qu’on me reconnaisse dans la rue, mais pour dire des choses. Et c’est pareil au cinéma. Je ne fais pas ça pour devenir une vedette. Et puis, je pense que je ne choisirai jamais entre la télé et le cinéma. Moi, mes modèles, ce ne sont pas les comédiens de stand-up américains ou les comiques français. Ça, je n’en ai vraiment rien à foutre. Mon modèle ultime, c’est Takeshi Kitano qui, au Japon, est capable d’animer sept émissions de télé, de jouer dans des blockbusters, et de réaliser des films qui sont complètement indépendants et qui lui ressemblent tellement qu’ils sont parfois incompris.

Quelle la personne la plus célèbre que vous ayez dans votre répertoire de téléphone ? Si on considère qu’une personne célèbre c’est quelqu’un à qui l’on pense en permanence, je dirais ma mère.

Qu’est-ce qu’on vous dit quand on vous reconnaît dans la rue ? Les gens pensent que je fais partie de leur bande. C’est vraiment très cool, mais des fois ça peut être embarrassant quand je suis avec mes potes et qu’un mec entre dans notre conversation. Parfois, alors que je suis au téléphone, un type arrive et me dit : « Ah, c’est marrant, je t’ai vu hier, et j’étais avec mon pote machin et tout… » Mais bon, je suis quand même content que ça se passe comme ça. A la télévision, je parle de mes passions, et quand on fait partager des passions et qu’on n’est pas juste là pour montrer sa gueule, ça suit. Un mot de conclusion ? A nous Los Angeles !

La bio de Mouloud Achour 1980 : naissanceà Montreuil. 1999 : fondateur du label de rap Kerozen. 2003 : réalisateur du documentaire “La Face B du hip hop”. 2005 : acteur dans “Sheitan” de Kim Chapiron. 2006 : chroniqueur à “La Matinale” de Canal+. 2008 : chroniqueur nouveaux mouvements au “Grand Journal” de Canal+. 2008 : réalisateur du documentaire “Mouloud passe au vert”.

Nouveau MGMT

Pourquoi eux ? Pourquoi mettre particulièrement en avant ce petit duo de pop US, alors que des disques sortent chaque semaine comme s’il en pleuvait ? Parce que ceux-là sont spéciaux. Ils agitent la presse comme nul autre groupe, ils refusent de reproduire ad lib la recette du succès et tout le monde, même les non-mélomanes, trouve qu’ils ont un style fou. Rencontre sur leurs terres, à New York, avec deux jeunes – mais déjà confirmés – artistes, à l’orée de la sortie de leur second album. "Congratulations", qu’ils disaient.

Le 5 mars dernier, armés d’un pré-CD (entendez un nouveau CD pas sorti, que personne n’a sous la main et qui n’a pour le moment même pas encore été piraté), nous embarquons pour New York, histoire de rencontrer en exclusivité mondiale (c’est ce dont se targuent les privilégiés) le duo MGMT. “Aime-Ji-Aime-Ti”, disent les puristes, “Aime-Jé-Aime-Té”, prononçons- nous histoire de garder notre simplicité, vu qu’il ne faut plus dire “Management”, ce qu’on disait au moment de la sortie du premier opus il y a deux ans, mais qu’on ne dit plus. Alors, partir là-bas dans ce but exclusif, ça a des allures de privilège que vous n’imaginez même pas. La poignée de journalistes regroupée n’ose pas commenter l’affaire, et puis l’un craque : « T’as préparé tes questions ? Montre… ». C’est dire si le buzz est grand, alors que notre sujet d’étude n’a que 27 ans et demi de moyenne d’âge et, pour le moment, un seul album au compteur. Mais quel album ! “Oracular Spectacular” a été un fulgurant réservoir à tubes version électro pop, à commencer par les mythiques “Time to Pretend” et “Kids”. Ce dernier a même fait parler de lui outre mesure en France, puisque notre parti politique majoritaire, avide, comme tous le sont, de coolitude, se l’est approprié en guise de bande sonore lors de meetings et pour son site web. Procès, procès gagné, indemnités. Et notre duo a tout reversé à Haïti, pourtant pas encore sinistré. Mais MGMT est en toutes circonstances toujours précurseur, on ne le dira jamais assez. Un avant-gardisme chronique à décrypter d’urgence, puisque c’est sans doute grâce à celui-ci que les compères ont vendu deux millions d’albums et comptabilisé plus de 81 millions d’écoutes sur MySpace. Who is MGMT ? That is the question. That is aussi the adresse agréée pour écouter leur nouvel album (whoismgmt.com), celle qu’ils ont instaurée, lassés des mauvaises copies qui se sont vite répandues sur le web, peu après notre rencontre. Pas sûrs tout de même de ne pas se retrouver face à un énième sujet de buzz conjoncturel et pas complètement justifié, nous nous sommes préparés à rencontrer ceux dont l’aura était encore augmentée, s’il le fallait, par le fait que la collection masculine printemps-été 2009 de Gucci leur avait été dédiée. Des icônes de mode en prime ?

Le rendez-vous était donc pris en matinée, les après-midi étant vouées aux répétitions. Formula Studios, 450 W, 15th Street, un endroit parfait pour y poser votre futur loft, tout près du Chelsea Market, marché couvert où vous pourrez, si tout s’est mal passé, aller vous concocter un plateaurepas réconfortant et frais. Arrivés “on time”, vous attendez un brin avant de vous approcher des stars, à première vue deux choupinous pas complètement impressionnants. L’heure venue, Ben Goldwasser, le brun à lunettes d’intello, joueur de claviers de son état, est tout de suite disponible, l’oeil brillant, la poignée de main franche, prêt à savoir si c’est votre première visite ici, à commenter le temps qu’il fait. Andrew VanWyngarden, le blondinet, guitare, chant et de là, bien sûr, chouchou des filles, semble plus fatigué : « On a cinq minutes ? » Tout le temps que vous voulez. Je n’habite pas ici, je n’ai pas tant de projets. En fait de fashion victims, les deux adoptent un look simplissime, plus “Petit Bateau” – dont ils ont été avant Izia les égéries – que couture. Ben, qui dit avoir grandi à la campagne et ne pas être rompu à la fashion, rigole : « Tout cela est très flatteur. On nous a dotés d’une image de mecs cool, probablement grâce à notre clip de “Time to Pretend”, mais bon, enfin, nous n’avons pas les moyens de nous offrir des fringues Gucci ! » Retour d’Andrew, et nous voilà partis pour une petite demi-heure d’investigation. Commençons donc au commencement, à savoir comment ces deux-là se sont rencontrés. C’était à la fac, on le sait. Mais bon, cela a-t-il été spontanément évident : « Quand vous vous êtes connus, vous vous êtes reconnus ? » La question sera sans conteste celle qui leur plaira le plus de toutes, car bien sûr oui, ceux-là se sont bien trouvés, tout deux auto-proclamés “slackers” (fainéants tranquilles), qui aimaient écouter de la musique bizarre. Et du coup, tout n’a pas commencé sur les chapeaux de roues : « Au départ, nous avons commencé à faire de la musique ensemble comme une distraction, sans penser que nous allions créer un duo qui serait quelque chose de très spécial », commente Ben. « Nous jouions dans d’autres groupes que nous prenions davantage au sérieux. Ce que nous faisions ensemble, c’était même comme un projet parallèle, secondaire. Pendant un bon moment, cela n’a pas été notre priorité. Je pense qu’au final, cela nous a plutôt rendu service car si nous avions vraiment cherché à monter une structure avec l’ambition de drainer un vaste public, nous n’aurions pas saisi de la même façon les chances qui se sont offertes à nous. » Un disque est tout de même sorti de cette aventure, signé sur une major et bourré de tubes incroyables, certains ayant même été écrits des années auparavant, alors que les deux avaient à peine vingt ans. « Au moment de la sortie de l’album, nous étions déjà bien différents de ce que nous étions quand nous avons créé ces morceaux », explique Ben. « Le changement dont on parle aujourd’hui au sujet de notre musique ne s’est pas fait d’une façon radicale. » Reste que c’est aussi le succès qui a transformé MGMT : une entrée fulgurante dans le star-system, une tournée de quinze mois, et puis, au final, un considérable craquage nerveux (particulièrement chez Andrew). Au vu de cet engouement un brin étouffant, toutes les conditions n’étaient pas réunies pour les entraîner à jouer à l’avenir la carte de la facilité. « L’idée de faire quelque chose qui marche à coup sûr ne nous intéressait pas. Le succès lié à notre premier album a été quelque chose de génial, mais peut-être n’avons-nous pas été complètement compris », poursuit Ben. « Les gens nous ont spontanément vus comme un duo de pop électro, indissociablement lié à la notion de fête, ce qui est dans un certain sens vrai, bien sûr, mais nous ne sommes pas que cela. » Les deux Brian En effet, le groupe n’est pas qu’un souffle de vent léger. D’abord, à force d’écouter de la musique bizarre, Ben et Andrew se sont construit une solide culture, pas indispensable selon eux pour oeuvrer à son tour, mais importante car « depuis toujours, en musique, on part de ce qui a déjà été fait et on enrichit cela avec les nouvelles technologies dont on dispose, on y ajoute une pincée de l’air du temps. » Et de conclure : « Rien, musicalement, ne vient jamais de nulle part. » Du coup, les références des deux MGMT sont surprenantes. Les deux plus grands génies étant peut-être à leurs yeux Brian Eno (auquel est dédié un des titres de l’album, sautillant et pas du tout “enoesque”) et Brian Wilson. « Du fait de s’appeler Brian… ». Mais dans “Congratulations”, tout est possible. Il y a de la sunshine pop, du psychédélisme, beaucoup, du rock flamboyant, des accents Motown et puis des mots, ceux qu’écrit Andrew, sombres, poétiques, pleins de jeux de mots et de références (« Hope I’ll die before I get sold »…), qui tiennent une place majeure même s’ils arrivent à la fin du processus de création. « C’est une part vraiment importante de notre musique, qui peut dérouter. Mais si nous voulons que les gens soient surpris et réfléchissent, nous ne souhaitons pas pour autant choquer. Les chansons s’imposent à nous et nous les délivrons de la manière la plus sincère possible. » Fort de tout ça, cette semaine, l’album sort, et malgré (ou grâce à ?) ce manque de concessions revendiqué, les critiques sont d’ores et déjà dithyrambiques « Nous sommes heureux des réactions positives de la presse internationale. Nous n’osions espérer ce genre de réactions, enfin plutôt si, nous les espérions. Les journalistes vont certainement aider le public à comprendre l’album et à s’y intéresser », commente Andrew. Et puis il y a les concerts, dont le top départ a été donné il y a deux semaines au Trabendo. Là, les MGMT, escortés des trois autres musiciens intégrés au groupe, ont surpris. Toujours pas vraiment des bêtes de scène, toujours pas taillés pour faire Bercy, ils ont livré un show tout en finesse, apte à séduire le public. D’autant qu’ils étaient ravis d’être à Paris, capitale qui, s’ils l’ont séduite, les a tout autant ensorcelés. « C’est une ville magnifique, particulièrement en été. Les gens sont dehors et ce que l’on adore faire, c’est arpenter les ruessans but, marcher pour se perdre, trouver un endroit sympa pour se poser et regarder les gens vivre. C’est une question d’ambiance. » Un mot de conclusion spécial pour nous, alors ? En choeur : « Get ready for us !!! ». Tout le monde aura suivi.

Sam Mendes

Cinéaste à succès, le réalisateur d’“American Beauty” fut un metteur en scène de théâtre acclamé. Ses adaptations de deux pièces de Shakespeare sont enfin visibles en France.

Derrière la porte, on surprend Kate Winslet, pleurant son mariage en déroute sur l’affiche des “Noces rebelles”. En face, le soldat de “Jarhead” ignore le nombril envoûtant de la lolita d’“American Beauty”, son premier film, auréolé de cinq oscars, en 2000. Dans cette salle des trophées, à l’étage d’un immeuble discret et défraîchi de West Village, à New York, les succès à 350 millions de dollars de recettes du réalisateur britannique Sam Mendes côtoient les hommages à sa première passion : les annonces illustrées des spectacles du Donmar Warehouse, théâtre du West End sauvé de la ruine par ce prodige de la scène londonienne. Son “Oncle Vania” (Tchekhov) de légende, l’“Oliver !” (Dickens), monté en 1994, à l’âge de 29 ans, sont l’oeuvre d’un théâtreux forcené, convoité par Hollywood, mais amarré à New York. Voilà dix ans que le Britannique le plus demandé d’Amérique croque la Grosse Pomme. A Brooklyn, sa “Tempête” et son “Comme il vous plaira”, de Shakespeare, font salle comble, et la troupe prépare une tournée mondiale qui la conduira à Hongkong, Amsterdam et Paris, au théâtre Marigny. Mais Mendes, resté longtemps le meilleur parti de Londres, a toujours vu en New York le creuset d’une nouvelle famille, avec Kate Winslet, sa femme depuis 2003. Ici, la star de “Titanic” peut se rendre à pied à l’école avec Joe, leur fils de 6 ans, sans provoquer une émeute sur la 7e Avenue. Sam, lui, fils d’un prof de lettres issu d’une lignée protestante portugaise de l’île de la Barbade et d’une mère juive anglaise écrivaine pour enfants, divorcés quand il avait 5 ans, reste à température égale dans ce tourbillon urbain et cosmopolite : un Anglais érudit et iconoclaste ciselé par Oxford, Cambridge et la Royal Shakespeare Company, qui boude les tapis rouges pour regarder, à la télévision, le cricket et les matchs de foot d’Arsenal. Lorsqu’il nous reçoit, les limiers de la presse people anglaise rôdent autour de son immense loft en quête de tuyaux sur son imminent divorce, confirmé depuis le 15 mars. Sam Mendes, enfoncé dans un fauteuil entre une imposante bibliothèque et une gigantesque télé, incrimine dans un nuage de cigare le démon qui le taraude toujours à 44 ans : le boulot. Obsessionnel. Dévorant. Le problème de ce perfectionniste maladif n’est pas le prochain James Bond en 3 D, qu’il prépare pour 2011, mais Shakespeare. Tasse de thé de tout Anglais qui se respecte.

Un vrai chaman aux répétitions de Brooklyn Mendes a pourtant attendu d’étudier l’auteur de Hamlet en classe, à l’adolescence, pour mettre la première fois les pieds dans un théâtre. Sa “Tempête”, visuelle, intimiste, mélodieuse même, grâce aux deux musiciens sur scène, s’affranchit des conventions classiques. Prospero, le duc exilé de la pièce qui convoque les esprits pour vaincre ses usurpateurs, pontifie moins qu’il ne laisse percevoir ses doutes sur son pouvoir. « Pour moi, c’est une pièce qui, franchissant les frontières des cultures, dépeint un artiste sans contrôle sur sa création, comme un roi sans pouvoir sur ses sujets », confie Mendes, qui, pour mieux interroger l’occulte, a invité un vrai chaman à assister aux répétitions de Brooklyn. « J’ai toujours pensé qu’il ne suffisait pas d’aimer une pièce ; qu’il fallait en découvrir le plus profond secret », plaisante le metteur en scène. « Cela paraît prétentieux, mais je serais déjà content si, grâce à moi, deux ou trois gamins assis au fond de la salle s’ouvrent à Shakespeare et au théâtre. » Ce qui devrait leur plaire.

mercredi, avril 7 2010

Séries Mania

Alors qu’en ce moment le monde dans les séries est plutôt “Desperate”, celui des séries, lui, se porte comme un “Charmed”. La preuve au festival Séries Mania, qui se tient cette semaine au Forum des Images.

Qui ne s’est jamais dit : « Mince, si je devais mourir demain, je ne connaîtrais jamais la fin de Lost » ? Eh oui, les séries nous rendent accros et sont devenues en quelques années une part intégrante de nos loisirs. « Je pense que nous vivons un nouvel âge d’or des séries télé, confirme Clyde Phillips, producteur de Dexter et invité vedette du festival Séries Mania. Les auteurs actuels sont soucieux du standing qu’ils apportent à leur show, et l’arrivée de la télévision câblée leur a offert de nombreuses opportunités pour créer des séries originales et de qualité. » Résultat, en une quinzaine d’années, nos bons vieux feuilletons à la Dallas ont évolué : aujourd’hui, presque mieux que le cinéma, ils captent le réel, fouillent l’intime, épinglent la société dont ils donnent un reflet complexe et changeant.

Feuilletons le programme

Difficile de s’y retrouver dans ce monde des séries en perpétuelle évolution. C’est pour cela que le festival Série Mania vous invite pendant six jours à zapper sur le meilleur de la production actuelle. Leaders incontestés du marché, les Américains y montreront les premiers épisodes de FlashForward, le digne successeur de Lost, une série dans laquelle toute l’humanité est confrontée durant quelques minutes à la vision de son propre avenir. Au programme également, la saison 8 de 24 heures chrono ; In Treatment mettant en scène Gabriel Byrne en psy face à ses patients ; le très attendu remake de V, avec ses fameux lézards extraterrestres ; et enfin la série de Diablo Cody, la scénariste de Juno, produite par Steven Spielberg, United States of Tara, plongée dans une famille de banlieue dirigée par une mère schizophrène. Outsider de poids : la France, qui depuis quelques années et notamment grâce à Canal+, a su développer des oeuvres de qualité. Le festival proposera en exclusivité les deux premiers épisodes de la saison 3 de la série policière chic et choc Engrenages, mais aussi ceux d’Empreintes criminelles, qui retrace les débuts de la police scientifique dans les années 1920. Une rencontre entre Les Experts et Les Brigades du Tigre, en somme. Alléchant… Autres points forts de ce festival : un tour du monde des séries (de l’Angleterre à la Chine en passant par le Québec et Israël), des rencontres avec Brannon Braga, créateur de FlashForward, et Hagai Levi, Israélien à qui l’on doit la version d’origine de In Treatment. Mais également des conférences sur la fabrication des séries, sur leur nouvel âge d’or, ou sur les rapports entre séries et cinéma. Enfin, puisqu’un festival dédié aux séries n’en serait pas un sans ses marathons de projections, Série Mania vous proposera la diffusion intégrale des deuxièmes saisons de Mad Men et de True Blood. Bref, de quoi satisfaire tous les mordus de séries, et leur faire découvrir, pour une fois, leurs shows préférés et leurs addictions à venir sur un grand écran.

jeudi, avril 1 2010

Alice au pays des merveilles

C’est incontestablement l’événement cinématographique de la semaine. Le mythique personnage d’Alice au pays des merveilles fait son retour sur les écrans, mais revisité à la sauce Tim Burton, avec, du coup, de la 3D, du Johnny Depp, de la BO de grande classe... Alors que les spectateurs sont dans les starting-blocks, le phénomène Alice, qui va bien au-delà de la sortie ciné, méritait d’être scruté.

Le buzz de la semaine est là. Un film aux moyens colossaux mis en scène par un réalisateur-star, avec Johnny Depp, crème de la crème d’Hollywood en guise de tête d’affiche et des images de synthèse bluffantes qui raviront les amateurs de grand spectacle façon Avatar. Et puis des interviews, des analyses, des produits dérivés du plus grand chic... Qui l’aurait cru, en sachant que l’histoire d’Alice, connue universellement, est née de l’imagination fertile du révérend Charles Lutwidge Dodgson, étrange personnage taciturne de l’Angleterre du XIXe siècle, portant faux col et redingote noire, gaucher et bègue de surcroît ? Etrange, ce monsieur Dodgson, qui, un peu à la manière d’un Michael Jackson d’antan, aimait bien les petites filles qu’il photographiait sans lassitude et était prêt, pour les séduire, à leur inventer des aventures mirifiques, a priori éloignées de mille lieues de celles du monde des adultes. C’est lors d’une promenade en barque, par un beau jour ensoleillé, que le révérend l’inventa cette histoire pour l’une des fillettes présentes, Alice Lidell, qui, bien qu’accompagnée de ses deux soeurs, avait indéniablement sa préférence. Interrogé par son collègue Duckworth, lui aussi du voyage, le futur créateur du pays des merveilles confirmait l’étrangeté des faits : « Oui, j’invente au fur et à mesure. ». Alice fut conquise et demanda à son étonnant ami de lui relater l’histoire par écrit. Ledit ami n’en dormit pas de la nuit et écrivit le chef-d’oeuvre que nous connaissons, l’illustrant même de ses propres pinceaux. Et puis et puis, d’autres le lurent, le convainquirent de le publier, ce qui fut fait sous le nom de Lewis Carroll, puis agrémenté des dessins de John Tenniel, aujourd’hui toujours partie intégrante de l’univers d’Alice. Animaux et cartes à jouer qui parlent, repères temporels flous, mot-valises, non-sens, adultes cruels, personnages qui se retrouvent la tête à l’envers, héroïne toujours trop grande ou trop petite. Toute la personnalité de Charles-Lewis telle qu’elle a pu être rapportée transparaît dans ce drôle d’ouvrage dont le succès s’est avéré immédiat dès sa parution.

Les raisons du succès

Ecrites pour plaire à une seule petite fille, les aventures d’Alice ont conquis toutes les générations et ce, à travers les âges. Un succès que l’on comprend sans peine quand il s’agit de contes de fées puisqu’ils font partie de l’imaginaire collectif et se transmettent de façon orale, mais qui laisse pantois quand on sait que cette belle histoire n’est l’oeuvre que d’un seul. « Alice nous touche en tant qu’enfants, mais aussi en tant que grands enfants, explique le docteur Lepastier, psychiatre et psychanalyste. On se retrouve loin des contingences habituelles ; on passe de l’autre côté du miroir ! Les objets inanimés prennent vie, les animaux parlent... Cela nous met dans un état de perplexité étonnant ; ce que Freud appelait “l’inquiétante étrangeté”. Et puis l’enfant n’a plus peur comme dans la vie réelle. Là, il n’est plus écarté du monde des adultes, il est au centre de l’action, ce qui nous convient bien puisqu’on a toujours tendance à idéaliser le monde infantile. » Et de reprendre : « Il est toujours important de garder la part d’enfant qui est en nous, notre capacité à avoir des fantasmes, d’oublier notre vie monotone, d’avoir un imaginaire aussi riche que possible pour affronter plus facilement la réalité. » Un brin de folie salutaire, mais qui reste néanmoins policé, comme le confirme le psychanalyste : « Sous prétexte de parler d’enfance, on aborde de façon discrète le monde de la folie, de l’absurde. C’est une sorte de pied de nez à la rigueur, aux conventions, mais qui reste acceptable, bien loin, en fait, des contes de fées, souvent considérablement plus cruels et proches de la vraie vie ou même de ce que peut livrer dans les rêves, notre inconscient. » Un brin d’évasion donc, mais aux antipodes du vraiment dérangeant, qui ne pouvait que séduire le plus grand nombre. Du pain bénit pour Tim Burton, cinéaste de l’étrange, mais habitué aux grands succès publics, au point d’être célébré actuellement au Musée d’art moderne de New York. « J’ai toujours adoré Alice au pays des merveilles, affirme-t-il ainsi. Le récit de Lewis Caroll était l’un des rares à fasciner l’enfant que j’étais, pas très porté sur la lecture. » L’oeuvre lui tendait donc les bras, d’autant que selon lui, aucune des adaptations cinématographiques qui en avaient été faites ne lui avaient plu ; le dessin animé mythique sorti aux débuts des années 50 étant même à ses yeux complètement dépourvu de charge émotionnelle.

La folie Tim Burton

Qu’à cela ne tienne, la machine Tim était lancée, dès lors que les studios Disney étaient venus le trouver, armés, si cela ne suffisait pas, de l’argument 3D. Et au final, force est de constater que le pari est plus que réussi. Pourtant, au vu du battage médiatique fait autour de l’affaire, on pénètre dans la salle de projection presque de mauvaise grâce, et ce n’est rien en comparaison de la façon dont on reçoit les lunettes nécessaires au visionnage. Mais ensuite, très vite, les réticences s’envolent comme par magie. On est immergés en un clin d’oeil dans l’histoire, et qu’importent les fâcheux qui conspuent l’indigence du scénario. On se prend des volutes de fumée et des papillons dans la tête, on adore la reine méchante interprétée par une fantastique Helena Bonham Carter, Alice est notre soeur, le loir est choupinou et Johnny Depp qui en fait des caisses est juste sublime. « J’ai voulu reprendre le principe des histoires de Lewis Caroll et leur donner une forme qui, sans respecter à la lettre ses oeuvres, en conserve l’esprit et le ton », explique Tim Burton. Et cela est réussi au point qu’on peut parier sur un succès phénoménal encore accru par l’intelligence avec laquelle le marketing lié au film a été géré. Nathalie Chouraqui, directrice associée de Kazachok*, agence de communication et de conseil dédiée au marché du licensing de marque décrypte : « Les studios Disney ont positionné toute l’offre produits sur l’image de Tim Burton. Ils ont extrêmement bien travaillé la marque en choisissant de s’associer à des enseignes triées sur le volet et choisies en fonction des différents pays. Les objets qui en ressortent sont estampillés “haut de gamme”, mais ne sont pas inaccessibles ; ils sont gentiment branchés et définitivement tournés vers les jeunes femmes, voire les femmes. Une belle stratégie. » La machine est bien huilée, donc, et vous pourriez être tentés de ne pas tomber dans ses pièges, puisque ce serait adhérer aux fantasmes antiques d’un vieux révérend anglais un brin déviant, à un cinéaste qui n’a plus rien à prouver, d’autant qu’il présidera notre prochain Festival de Cannes, à un Johnny Depp une fois de plus perruqué, à des acteurs qui ont tourné sur un fond vert pendant des mois, à une petite héroïne mignonne et blondinette, à un scénario simplissime et à un plan marketing sans faille. Et pourtant, rien n’y fera, vous irez, vous sortirez un brin sonnés et, pire que tout, vous aimerez. Bon film ! Grands enfants, va.

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